On s’imagine reconnaître à première vue si un auteur est sincère ou si un récit est exact. […] La règle doit donc être de se défier des récits trop conformes à des formules. […] Ici encore il faut se défier du premier mouvement : la concordance vraiment concluante n’est pas, comme on l’imaginerait naturellement, une ressemblance complète entre deux récits, c’est un croisement entre deux récits différents qui ne se ressemblent qu’en quelques points. […] Elle a un caractère mixte, indécis entre une science de généralités et un récit d’aventures. […] — Quel usage faire des récits et des descriptions ?
Le récit qu’elle a fait de cette mort égale les beaux récits qu’on a des morts les plus touchantes ; il s’y trouve en chemin de ces mots simples et qui éclairent toute une scène : « … Je montai chez elle. […] Comme élégance et vivacité de récit, cela se détachait des autres nouvelles et historiettes du moment, et annonçait un esprit de justesse et de réforme. L’imagination de Mme de La Fayette, en composant, se reportait volontiers à l’époque brillante et polie des Valois, aux règnes de Charles IX ou de Henri II, qu’elle idéalisait un peu et qu’elle embellissait dans le sens où les gracieux et discrets récits de la reine Marguerite nous les font entrevoir. […] Zayde est encore dans l’ancien et pur genre romanesque, quoiqu’elle en soit le plus fin joyau ; et si la réforme y commence, c’est uniquement dans les détails et la suite du récit, dans la manière de dire plutôt que dans la conception même. […] Les Mémoires de la Cour de France pour les années 1688 et 1689 se font remarquer par la suite, la précision et le dégagé du récit : aucune divagation, presque aucune réflexion ; un narré vif, empressé, attentif ; une intelligence continuelle.
Je trouve dans les Mémoires d’un Bourgeois de Paris, où il y a sur les grands compositeurs de notre époque bien des anecdotes authentiques, et que l’auteur a sues d’original, le récit d’un certain dîner dans lequel Halévy jeune, avant la gloire, avant le renom, entouré d’amis éloquents et doctes, tient bien sa place et a déjà son rôle. […] Ils charmaient les travaux des longues journées par de doux entretiens, par les récits de la patrie absente. » Voilà l’idéal heureux d’Halévy, son Décaméron de l’Art. […] Le récit qu’il a fait des émouvantes et magnifiques funérailles de Grétry, de cette sorte de pompe triomphale, nous a rappelé les funérailles d’Halévy lui-même. […] Il traite son sujet et ne l’élude pas ; il introduit la discussion dans le récit : le sentiment du haut style est toujours présent comme une image du dieu d’Olympie.
C’est une époque digne de remarque dans la littérature, que celle où l’on a découvert le secret d’exciter la curiosité par l’invention et le récit des aventures particulières. […] Consacrer la littérature au récit ou à l’invention des beaux faits de chevalerie, était l’unique moyen de vaincre la répugnance qu’avaient pour elle des hommes encore barbares. […] L’art d’exciter la terreur et la pitié par le seul développement des passions du cœur, est un talent dont la philosophie réclame une grande part ; mais l’effet du merveilleux sur la crédulité est d’autant plus puissant, que rien de combiné ni de prévu ne prépare le dénouement, que la curiosité ne peut se satisfaire à l’avance par aucun genre de probabilité, et que tout est surprise dans les récits que l’on entend. […] Cependant le dernier vers qui termine le récit : Passa la bella donna et par che dorma35, est trop harmonieux, trop doux, glisse trop mollement sur l’âme, pour être d’accord avec l’impression profonde que doit produire un tel événement.
Fascinants et durs récits, sans cesse le fantastique et le réel mêlés se pénétrent de plausibilité et se saturent d’épouvante. […] Ces spectacles et ces récits, brouillés encore de l’incohérence, et de l’oppression des rêves qui les interrompent, forment la matière d’étranges livres ; dénués de toute poésie expresse, sombres, tristes, sales et bas, ils évoquent sourdement comme une haute fantasmagorie où les rues, les maisons et les êtres, d’abord stables ou marchants, vacillent tout à coup et planent, ombres ou noirs profils de songes. […] Tout le livre est ainsi le récit des déterminations nécessaires d’un assassin singulier, en présence de ses amis, d’un juge d’instruction, de sa famille, d’une sorte d’amante. […] De même encore, une intelligence peu développée en tant qu’intelligence, à qui les sens portent sans cesse des impressions discontinues, sera en peine d’imaginer l’idée de développement, soit dans un récit, soit dans un caractère, et concevra de préférence le suspens d’une histoire et la stabilité d’une âme.