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399. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Ses solides qualités armées de sévérité et de rudesse l’avaient rendu odieux aux grands, et le peuple même ou la bourgeoisie n’appréciait pas en lui un défenseur des intérêts publics. […] L’Estoile, dans un sentiment de malignité bien naturel, se plaît à relever et à dénombrer les titres et qualités de Sully à la date de juillet 1609, c’est-à-dire au faîte de sa grandeur : par un autre sentiment non moins naturel à l’homme, Sully se plaisait aussi à les étaler : Maximilien de Béthune, chevalier, duc de Sully, pair de France, prince souverain de Henrichemont et de Boisbelle, marquis de Rosny, comte de Dourdan, sire d’Orval, Montrond et Saint-Amand ; baron d’Épineuil, Bruyères, Le Châtelet, Villebon, La Chapelle, Novion, Baugy et Bontin ; conseiller du roi en tous ses conseils ; capitaine lieutenant de deux cents hommes d’armes d’ordonnances du roi sous le titre de la reine ; grand maître et capitaine général de l’artillerie ; grand voyer de France ; surintendant des finances, fortifications et bâtiments du roi ; gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en Poitou, Châtelleraudois et Loudunois ; gouverneur de Mantes et Jargeau, et capitaine du château de la Bastille à Paris. […] Une tentation dont on a d’abord à se garder quand on se débarrasse ainsi du Sully de convention pour vouloir retrouver le réel, c’est d’aller à l’extrémité contraire, c’est de lui chercher un défaut précisément à la place de la qualité dont on l’avait loué, c’est de diminuer sa grandeur, parce qu’elle n’est pas tout à fait celle qu’on avait, dans les derniers temps, préconisée. […] Celui-ci, après être resté quelque temps dans la simple infanterie, passe dans la compagnie colonelle de M. de Lavardin et y sert en qualité d’enseigne ; mais bientôt il cède cette enseigne à un de ses cousins, et, ayant fait des épargnes de son revenu durant deux ou trois ans (car il est bon ménager de bonne heure), s’étant retranché durant ce temps à vivre de ses soldes, de ses profits et butins faits à la guerre, il s’arrange si bien qu’il peut figurer désormais comme gentilhomme, ayant ses gens et son équipage à lui, à la suite du roi de Navarre.

400. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

L’application, la fermeté et l’ordre, il portait ces qualités en tout, et il le faisait avec satisfaction, d’une manière qui lui était naturelle et facile. […] Devenu commissaire ordonnateur, il fut employé en cette qualité dans l’armée qu’on avait formée, en 1792, sur les côtes de Bretagne, et qui était destinée à agir au cas d’une descente des Anglais. […] Ce fut en cette qualité sans doute qu’il vit pour la première fois le général Bonaparte au printemps de 1796, à la veille de la campagne d’Italie, et le futur vainqueur, tout plein des grands coups qu’il allait tenter, lui dit en partant : « Dans trois mois, je serai à Milan ou à Paris. » Au milieu des scandales trop célèbres qui caractérisent en général l’administration du Directoire, le ministère de Petiet fait une honorable exception. […] Dans la nouvelle organisation réglée par le Premier consul, et qui répartissait les détails de l’administration militaire entre deux corps différents, l’un conservant l’ancien titre de commissaires des guerres et destiné à surveiller l’emploi des matières et les approvisionnements, l’autre, sous le titre d’inspecteurs aux revues, destiné à constater le chiffre de l’effectif, Daru fut compris dans la création de ce dernier corps ; et ce fut en cette qualité d’inspecteur aux revues qu’il fut envoyé à l’armée d’Italie et qu’il fit la campagne de Marengo.

401. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Elle n’eut point peut-être dans les idées une certaine originalité et une vivacité aiguisée qu’il avait eues, mais elle joignit à la forte doctrine dont il l’avait nourrie des qualités constantes et solides qu’il n’avait pas. […] Il est un point sur lequel il faut passer condamnation une fois pour toutes, afin d’être juste ensuite envers Mme Dacier : elle n’entend pas la raillerie, elle n’est à aucun degré femme du monde, et elle manque d’un certain goût, d’un certain tact rapide qui est souvent la principale qualité de son sexe. […] Accoutumée d’ailleurs à révérer l’Antiquité sous toutes ses formes, à reconnaître aux grands hommes, aux grands écrivains du paganisme des qualités et des vertus qui étaient un acheminement vers la morale chrétienne, elle trouvait mieux à concilier les objets de son admiration et de son culte dans la pleine et large doctrine de l’ordre catholique, dans cette voie latine qui ramène encore au Capitole, que dans ces autres voies plus strictes et particulières où la Réforme prise au sens de Calvin l’eût tenue confinée113. […] Peut-être aussi était-il impossible de réunir ces qualités dans une traduction ; car je ne prétends pas rabaisser la gloire de cette femme judicieuse et savante114.

402. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — II — Vauvenargues et le marquis de Mirabeau » pp. 17-37

Mais ce qui frappe d’abord, c’est la haute idée qu’il a prise de Vauvenargues, et l’espèce de déclaration qu’il lui en fait : Des qualités ordinairement séparées, et toujours recherchées, se joignent en vous, lui dit-il ; jugez des sentiments qu’elles y attirent. […] Ce n’est plus le temps où un homme de qualité rougit des talents que lui peut disputer un homme de rien… Peut-être ne fais-je qu’affermir ici chez vous une résolution prise ; il m’en est même transpiré quelque chose ; mais j’en demande l’aveu à votre amitié. […] La façon de penser des autres ne m’a jamais conduit : si je m’en suis mal trouvé du côté de la fortune, j’ai toujours pensé qu’un homme de qualité était au-dessus d’elle ; et, du moins, cela m’a-t-il toujours attiré de ces attentions de société qui ne dépendent que de nous. Ducs manants d’un côté, robins décrassés de l’autre, tout empiète sur l’homme de qualité : faites comme tout le monde avec ces gens-là, vous les avez toujours sur les épaules ; sachez vous annoncer et vous redresser, vous les voyez arriver plus bas que terre.

403. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers. »

— La comtesse de Boufflers, qu’on a souvent confondue avec la précédente, et qui, sans qu’on veuille en rien faire tort à celle-ci, lui était, au dire de bons témoins, « supérieure en figure, en agréments, en esprit et en raison  » ; qui avait aussi, il faut en convenir, plus de prétentions qu’elle au bel esprit et à l’influence, a pour qualité distinctive d’avoir été l’amie du prince de Conti, celle de Hume l’historien, de Jean-Jacques, du roi de Suède Gustave III ; elle est perpétuellement désignée dans la Correspondance de Mme du Deffand sous le nom de l’Idole : le prince de Conti ayant dans sa juridiction le Temple en qualité de grand-prieur, la dame favorite qui y venait, qui même y logeait et y avait son jardin et son hôtel attenant, s’appelait tout naturellement l’Idole du Temple ou, par abréviation, l’Idole. […] Lorsqu’il vint à Paris deux ans après (octobre 1763) en qualité de secrétaire d’ambassade, il se lia intimement avec son admiratrice dont il apprécia les qualités essentielles et solides sous l’écorce mondaine, et la supériorité à travers le brillant.

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