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449. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Cependant ce ne sont pas de pures conceptions arbitraires, comme dans le cas précédent : ce sont des points de vue relativement vrais, mais dont la vérité s’évanouit dans une synthèse plus large, qui n’a elle-même qu’une part de vérité relative. […] Par exemple, s’il y a quatre systèmes fondamentaux, comme on l’a dit, — le mysticisme, le scepticisme, le sensualisme, l’idéalisme, — on exclura les trois premiers comme faux, le quatrième seul étant le vrai ; mais l’idéalisme lui-même étant une expression vague qui réunit les systèmes les plus contraires, à savoir l’idéalisme de Plotin et celui de Hegel, celui de Platon et celui de Descartes, on fera encore un choix entre toutes ces formes de l’idéalisme, et on finira par se limiter au pur spiritualisme, entendu dans le sens le plus précis, mais aussi le plus étroit. […] S’il cherche le secret des choses, c’est qu’il croit qu’il y en a un ; c’est donc qu’il ne se contente pas du pur phénomène, et qu’il saute par-delà. […] Dans l’ordre de la pure philosophie, Leibniz, de tous les modernes est le plus près des anciens pour avoir uni le génie dans les systèmes à l’ouverture de l’esprit, et avoir recueilli le plus d’idées possible, sans les violenter pour les faire entrer de force dans un cadre artificiel et fermé : s’il n’a pas la grâce des Grecs, il en a la liberté.

450. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

« La religion, dit-il, en même temps qu’elle atteint par son sommet le ciel pur de l’idéal (par exemple, Benjamin Constant, qui filtrait son eau du Rhin avant de la boire, était trop spirituel et trop Français, lui ! […] Tout en prenant ses précautions contre eux, il reconnaît, par l’admiration qu’il leur a vouée, que Wolf et Strauss sont ses maîtres, Strauss, le prestidigitateur de l’érudition, l’escamoteur historique, dont le livre apoplectique veut expliquer tous les faits de l’Évangile par des mythes purs, — comme on avait, avant lui, essayé de les élucider avec des explications naturelles. […] « Les légendes des pays à demi ouverts à la culture rationnelle, dit-il page 63 du volume, ont été formées bien plus souvent par la perception indécise, par le vague de la tradition, par les ouï-dire grossissants, par l’éloignement entre le fait et le récit, par le désir de glorifier les héros, que par création pure comme cela a pu avoir lieu pour l’édifice presque entier des mythologies indo-européennes », et, suspendu entre le je ne sais qui et le je ne sais quoi, il ajoute alors cette incroyable phrase qu’il importe de recueillir : « Tous les procédés ont contribué dans des proportions indiscernables au tissu de ces broderies merveilleuses, qui mettent en défaut toutes les catégories scientifiques et à l’affirmation desquelles a présidé la plus insaisissable fantaisie. » Proportions indiscernables ! […] Ailleurs il ajoute avec une componction d’âme pénétrée : « la critique renferme l’acte du culte le plus pur. » C’est le mysticisme de la chose.

451. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 518-522

Cette pièce, d’un comique aimable, se compose de tableaux vrais empruntés à la société de nos jours ; deux familles y sont en présence : l’une toute mondaine, dans laquelle la discorde et le désordre se sont glissés, ne sert qu’à faire ressortir les mœurs unies et simples d’une autre famille toute laborieuse et restée patriarcale : deux jeunes cœurs purs, épris d’une passion mutuelle, sont le lien de l’une à l’autre. […] La littérature dramatique a été prise au dépourvu ; on lui demande presque le contraire de ce qu’on était accoutumé à désirer d’elle depuis longtemps ; on lui demande des émotions vives, profondes et passionnées, mais pures s’il est possible, et, dans tous les cas, salutaires et fortifiantes ; on lui demande, au milieu de toutes les libertés d’inspiration auxquelles le talent a droit et qui lui sont reconnues, de songer à sa propre influence sur les mœurs publiques et sur les âmes, de se souvenir un peu, en un mot, et sans devenir pour cela trop sévère, de tout ce qui est à guérir parmi nous et à réparer.

452. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VI. De l’emploi des figures et de la condition qui les rend légitimes : la nécessité »

Même en fournissant à la pensée une expression telle quelle, elle s’opposera à la précision et à la clarté : on sera dupe soi-même de ses métaphores, et l’on ne se rendra point compte qu’on n’a exprimé que des impressions insaisissables à l’intelligence, intraduisibles dans le langage des idées pures, qu’on n’a rien dit en un mot de raisonnable, de scientifique, ou de pratique. […] Au reste, on sera peut-être moins tenté de rechercher ou d’accueillir les figures sans nécessité ou pour le pur ornement, si l’on remarque d’abord que l’emploi des figures inutiles est un des caractères de la préciosité, ensuite que le style peut être expressif, éclatant, émouvant, presque sans figures.

453. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Beaucoup de ces opinions sont de purs anachronismes. […] messieurs, je vous en prie, affranchissez-vous du passé  non point de ce qu’il y a, dans le passé, de beau, de glorieux, de pur et d’exemplaire pour tous — mais des formes surannées qu’y ont prises les querelles de nos pères et de nos aïeux.

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