Cousin, en disparaissant subitement, ne laisse pas un vide ordinaire : ce n’est pas seulement un individu éminent qui nous quitte, c’est une force, une puissance, une grande influence intellectuelle qui s’évanouit. […] que d’esprits émancipés qui allaient au-delà du maître, qui le compromettaient aux yeux du Clergé et des puissances, qui formaient ce que j’appelle l’aile gauche de sa doctrine et qui la débordaient de toutes parts : Jules Simon, Vacherot, vous en savez quelque chose !
Plus de grandeur ni de puissance ; l’air sauvage ou triste s’efface ; la monotonie et la poésie s’en vont ; la variété et la gaieté commencent. […] Ce plaisir ne ressemble en rien à la joie physique, qui est méprisable parce qu’elle est grossière ; au contraire, il aiguise l’intelligence et fait découvrir mainte idée fine ou scabreuse ; les fabliaux sont remplis de vérités sur l’homme et encore plus sur la femme, sur les basses conditions et encore plus sur les hautes ; c’est une manière de philosopher à la dérobée et hardiment, en dépit des conventions et contre les puissances.
Tout d’abord aussi, il faut reconnaître que nul, à côté de la prodigieuse expansion de Victor Hugo, n’a su créer ainsi partout un nouvel idéal de puissance, de sérénité superbe et d’objectivité lumineuse. […] Don magique de réflexion objective, puissance étonnante d’impersonnalité créatrice, telles sont les deux qualités principales qui lui ont permis d’élever ce monument poétique dont le caractère est sans précédent dans notre littérature, sans analogue nulle part.
Mais on se console en songeant que, si sa puissance interne est diminuée, sa création est bien plus personnelle, qu’il possède plus éminemment son œuvre, qu’il en est l’auteur à un titre plus élevé ; en songeant que l’état actuel n’est qu’un état pénible, difficile, plein d’efforts et de sueurs, que l’esprit humain aura dû traverser pour arriver à un état supérieur ; en songeant enfin que le progrès de l’état réfléchi amènera une autre phase, où l’esprit sera de nouveau créateur, mais librement et avec conscience. […] Il le sait, et de là ses joies et ses tristesses : ses tristesses, car, pénétré de l’amour du parfait, il souffre que tant de consciences y demeurent à jamais fermées ; ses joies, car il sait que les ressorts de l’humanité ne s’usent pas, que, pour être assoupies, ses puissances n’en résident pas moins au fond de son être et qu’un jour elles se réveilleront pour étonner de leur fière originalité et de leur indomptable énergie et leurs timides apologistes et leurs insolents contempteurs.
Car nous avons précisément restitué à l’idée ethnique toute sa puissance, nous nous appliquons d’une manière constante à saisir le sens des réalités, et nous avons constitué l’éthique la plus sûre qu’ait connue la France. […] Et quel est le sens d’une puissance semblable ?