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332. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Vous considérez ses écrits, ses œuvres d’art, ses entreprises d’argent ou de politique ; c’est pour mesurer la portée et les limites de son intelligence, de son invention et de son sang-froid, pour découvrir quel est l’ordre, l’espèce et la puissance habituelle de ses idées, de quelle façon il pense et se résout. […] Ce sont là les plus efficaces entre les causes observables qui modèlent l’homme primitif ; elles sont aux nations ce que l’éducation, la profession, la condition, le séjour sont aux individus, et elles semblent tout comprendre, puisqu’elles comprennent toutes les puissances extérieures qui façonnent la matière humaine, et par lesquelles le dehors agit sur le dedans. […] Car nous parcourons en les énumérant le cercle complet des puissances agissantes, et lorsque nous avons considéré la race, le milieu, le moment, c’est-à-dire le ressort du dedans, la pression du dehors et l’impulsion déjà acquise, nous avons épuisé non-seulement toutes les causes réelles, mais encore toutes les causes possibles du mouvement. […] Il y a donc au centre de chacun de ces trois groupes un élément commun, la conception du monde et de son principe, et s’ils diffèrent entre eux, c’est que chacun combine avec l’élément commun, un élément distinct : ici la puissance d’abstraire, là la faculté de personnifier et de croire, là enfin le talent de personnifier sans croire. […] Voyez par contraste la puissance systématique dans Plotin, Proclus, Schelling et Hegel, ou encore l’audace admirable de la spéculation brahmanique et bouddhique.

333. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Mais l’hymne manié avec cette puissance, a son action comme la tragédie ; il suffisait à des âmes plus jeunes, à des esprits plus vibrants et plus résonnants que les nôtres. […] C’est dans le palais même du Grand Roi, au milieu de son sénat avili, en face des colosses monstrueux qui divinisent sa puissance, qu’Eschyle dresse l’image d’Athènes invincible et libre. […] Elles ne se prosterneront plus sous la majesté souveraine ; la puissance royale a péri. — La langue des hommes ne sera plus enchaînée, le peuple détaché du lion pourra parler librement ; le joug de la force est brisé. » La reine revient, chargée des libations funéraires. […] Cette étrangeté augmente sa puissance. […] La puissance des Perses est détruite.

334. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

Les joueurs consultés s’accordent d’abord à déclarer que la vision mentale des pièces elles-mêmes leur serait plus nuisible qu’utile : ce qu’ils retiennent et se représentent de chaque pièce, ce n’est pas son aspect extérieur, mais sa puissance, sa portée et sa valeur, enfin sa fonction. […] La tour est une certaine puissance de « marcher en ligne droite », le cavalier « une pièce qui équivaut à peu près à trois pions et qui se meut selon une loi toute particulière », etc. […] Ce qui est présent à l’esprit du joueur, c’est une composition de forces, ou mieux une relation entre puissances alliées ou hostiles. […] Mais puisque son rôle est au contraire d’appeler et de grouper des images selon leur puissance de résoudre la difficulté, il doit tenir compte de cette puissance des images, non de leur forme extérieure et apparente.

335. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Passage précieux de Lactance, sur l’origine de l’idolâtrie : Rudes initio domines Deos appellarunt, sive ob miraculum virtutis (hoc verò putabant rudes adhuc et simplices) ; sive, ut fieri solet, in admirationem præsentis potentiæ ; sive ob beneficia, quibus erant ad humanitatem compositi  ; au commencement, les hommes encore simples et grossiers divinisèrent de bonne foi ce qui excitait leur admiration, tantôt la vertu, tantôt une puissance secourable (la chose est ordinaire), tantôt la bienfaisance de ceux qui les avaient civilisés. […] Ce dernier genre de possession n’est autre chose que la souveraine puissance dans les républiques aristocratiques. […] Les gouvernements aristocratiques conservent les richesses dans l’ordre des nobles, parce qu’elles contribuent à la puissance de cet ordre. — C’est ce qui explique la clémence avec laquelle les Romains traitaient les vaincus ; ils se contentaient de leur ôter leurs armes, et leur laissaient la jouissance de leurs biens (dominium bonitarium), sous la condition d’un tribut supportable. — Si l’aristocratie romaine combattit toujours les lois agraires proposées par les Gracques, c’est qu’elle craignait d’enrichir le petit peuple. […] Dans les démocraties où domine une multitude avide, dès qu’une fois cette multitude s’est ouvert par les lois la porte des honneurs, la paix n’est plus qu’une lutte dans laquelle on se dispute la puissance, non plus avec les lois, mais avec les armes ; et la puissance elle-même est un moyen de faire des lois pour enrichir le parti vainqueur ; telles furent à Rome les lois agraires proposées par les Gracques.

336. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Elle l’abolit dans le sein même de l’intelligence qui se glace en s’éclaircissant, qui s’efface, s’étale au delà des justes bornes, et n’a plus ainsi de centre lumineux, de  puissance fixe et rayonnante. […] Au dehors ce fut surtout de l’étonnement ; on n’admettait pas qu’un prêtre parlât sur ce ton aux puissances et qu’il se posât plus haut qu’elles avec cette audace d’aveu. […] Dans le moyen âge, il n’en allait pas ainsi : la puissance spirituelle régnait ; les princes, fils de l’Église, tuteurs au temporel, administraient les peuples robustes, encore en enfance ; s’ils faisaient sentir trop pesamment le sceptre, au cri que poussaient les peuples le Saint-Siège s’émouvait et portait sentence. […] Tout cela se fit par degrés, selon les temps et les pays ; il y eut chez nous une ère transitoire qui eut sa splendeur sous Louis XIV, sa mourante lueur sous la Restauration, et durant laquelle, tout en reconnaissant la puissance spirituelle, en lui rendant hommage en mille points, en se signant ses fils aînés, on se posa en face d’elle comme pouvoir indépendant, à jamais légitime de père en fils sur la terre.

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