Mais comme cette traduction n’a pas été publiée et ne le sera pas probablement d’ici longtemps encore39, nous avons cru qu’il était bon de signaler au public, d’après ce que nous avons de traduit à cette heure, l’individualité d’Edgar Poe, de ce cerveau étrange, puissant et malade ; car c’est surtout pour les hommes comme Poe que les observateurs déconcertés ne savent plus où placer dans la tête humaine la ligne mystérieuse et subtile qui sépare si souvent l’intensité de la pensée de la maladie, et l’aberration du talent. […] Présenté au public français par un traducteur de première force, Charles Baudelaire, Edgar Poe cessa tout à coup d’être, en France, le grand inconnu dont quelques personnes parlaient comme d’un génie mystérieux et inaccessible à force d’originalité. […] On dirait que Baudelaire — esprit très hardi cependant — s’est épouvanté pour celui qu’il aime et a voulu concilier le gros du public à Edgar Poe, en dévoilant peu à peu ce génie insolite et déconcertant. […] Il a une patience qui attaque les nerfs, une patience furieuse qui se met des freins à elle-même, et qui a dû sacrifier souvent tout un mois en simples préparatifs pour faire bouillir son public une heure. […] Lamentable histoire connue, et où n’est rien changé que le banc de promenade publique où Poe mourut, au lieu du ruisseau de la rue !
D’autant plus que, — soit par leur faute, soit par celle du public, — ils ne sont jamais arrivés au-delà d’une demi-faveur. […] Quelle différence entre les âges dès qu’on se reporte par le souvenir à la période de la monarchie en France, dès qu’on examine ce qu’était le public d’alors et qu’on le compare au public de notre génération ! […] À côté des deux premiers groupes de dilettantes vulgaires, un public restreint subsistait néanmoins, correspondant au public entier d’autrefois, d’autant plus raffiné peut-être qu’il tendait chaque jour à s’isoler davantage des éléments sortis de son sein, et qui se constituaient à part. […] On sait que de temps et de peine il leur fallut pour s’imposer au public ; et, aujourd’hui encore, par combien de lecteurs pensent-ils être compris ? […] Le romancier eût été pourtant mal venu à se plaindre de l’indifférence publique, et à y trouver un prétexte de découragement.
Ils comptent puissamment auprès du public qui lit. […] La solidarité de la puissance publique avec le clerc, et la séparation a rompu entre eux les derniers liens. […] Le ministre doctrinaire le plus éminent qui ait gouverné l’Instruction publique, Léon Bourgeois, était un homme politique supérieur, l’esprit le plus libéral et le plus délicat, de climat girondin, comme M. […] Jaurès n’a pas seulement occupe le cœur du parti socialiste, il a compris le cœur du public socialiste. […] » on pouvait répondre : « Le bonheur humain pour principe, la conquête des pouvoirs publics pour moyen, la socialisation des moyens de production pour but ».
C’est ici que se pose le second problème : par quel illogisme le pays a-t-il rejeté d’un geste si brusque— l’émeute de Juillet a duré trois jours, — un régime dont chacun pouvait, en chaque circonstance publique ou privée, constater la bienfaisance ? […] Les parlementaires de la Restauration ne paraissent pas s’en douter davantage, et moins encore, s’il est possible, les journalistes qui les critiquent ou les soutiennent et le public que cette presse exalte ou déçoit. […] Qu’il ait des opinions, une conduite, des chapeaux et des gants comme le public, cela regarde le public. L’autre homme, à qui je permets l’accès de la philosophie, ne sait pas que ce public existe, … » En lisant ces lignes, je me rappelle la formule humoristique et familière qu’il s’appliquait à lui-même, quand je le rencontrais, prenant un peu d’exercice le long des quais. […] M.Beyens en rapporte un exemple étonnant : l’incroyable scène faite en public à Osman-Nizami pacha, l’ambassadeur de Turquie, à l’époque où se négociait à Londres le règlement de la crise balkanique.
Que les bons citoyens trouvent le million, moi je me charge de trouver les hommes… » Ces hommes (les collaborateurs du journal) seraient au fond le véritable pouvoir moral de la nation, les administrateurs de la pensée publique, le concile permanent de la civilisation moderne… Il y a en ce temps-ci quelque chose de plus beau que d’être ministre de la Chambre ou de la Couronne, c’est d’être ministre de l’opinion !