/ 3087
430. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Noter les différences qui existent sous le rapport des émotions, entre les races humaines inférieures et supérieures ; celles qui seront communes à toutes pourront être considérées comme primitives et simples ; et celles qui sont propres aux races civilisées, comme ultérieures et composées. […] Le sentiment de notre propre pouvoir se déploie en ce moment par sympathie avec le pouvoir qui se déploie à nos yeux. » L’Océan, un volcan en éruption, les cimes alpestres, un ouragan, nous causent l’émotion idéale d’un pouvoir transcendant. […] Hobbes définit le rire : « Un sentiment soudain de gloire « naissant de l’idée soudaine de quelque supériorité qui nous est propre, par comparaison avec l’infériorité d’autres ou notre propre infirmité antérieure. » Cette application purement égoïste du rire n’explique ni celui qui est causé par la sympathie, ni celui que fait naître la littérature comique. […] Dans leur sens propre, dit M. 

431. (1886) De la littérature comparée

Marc Monnier a signalé — après les avoir résolues — les difficultés d’un enseignement aussi vaste que celui de la littérature comparée : « Mener toutes les littératures de front, a-t-il dit ; montrer à chaque pas l’action des unes sur les autres ; suivre ainsi, non plus seulement en deçà ou au-delà de telle frontière, mais partout à la fois, les mouvements de la pensée et de l’art, cela paraît ambitieux et difficile... » Il a pu ajouter : « On y arrive cependant, à force de vivre dans son sujet qui petit à petit se débrouille, s’allège, s’égaie... » Mais ce qu’il n’a pas dit, ce sont les rares qualités d’esprit qui lui ont permis d’accomplir un tel travail et de le perfectionner d’année en année : une érudition qui s’élargissait sans cesse ; un sens critique habile à choisir entre la masse des documents les plus propres à marquer la physionomie d’un homme ou d’une époque, ou à dégager les caractères essentiels d’une œuvre ; une intelligence si enjouée qu’elle a pu, pour conserver son expression, « égayer » cette grave étude de l’histoire littéraire, si alerte, que d’heureuses échappées dans tous les domaines, elle a su rapporter des œuvres également distinguées. […] Avec plus d’étude, les écrivains apprendraient, par la connaissance du passé et par la comparaison, à mieux juger leur propre temps ; ils seraient moins hardis dans leurs tentatives, et, partant, dépenseraient moins de forces en pure perte ; ils développeraient leur sens critique d’autant plus utilement, que l’époque est passée où les grandes œuvres se produisaient inconsciemment, comme par l’effet de quelque mystérieux travail de la nature, et que la critique est devenue la meilleure source d’inspiration. […] et quelles sont les conditions de race, de moment et de milieu les plus propres à produire cet état moral ? […] Ce sont ces règles de la végétation humaine que l’histoire à présent doit chercher ; c’est cette psychologie spéciale de chaque formation qu’il faut faire ; c’est le tableau complet de ces conditions propres qu’il faut aujourd’hui travailler à composer. » Je voudrais pouvoir, Messieurs, vous montrer comment l’illustre critique a poursuivi son programme, comment il a développé et élargi sa méthode dans sa Philosophie de l’art, comment il a osé aborder les problèmes les plus compliqués de l’esthétique, ceux de la production de l’œuvre d’art et de l’idéal dans l’art, en « naturaliste », selon sa propre expression, et « méthodiquement », en vue « d’arriver non à une mode, mais à une loi ».

432. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

En effet, M. de Lamartine, avec son talent idéal, avec son optimisme à la fois naturel et calculé, quand il serait propre à être historien, l’était-il à être l’historien de la Révolution française en particulier ? […] Je les parcourrai rapidement, moins en juge qu’en lecteur empressé, à la fois séduit et résistant, et qui, pour contrôler ces pages faciles, n’a guère eu recours qu’à ses propres souvenirs. […] Lainé, il est sujet, sans s’en apercevoir, à projeter un peu de sa propre figure dans la leur, à se profiler légèrement en eux pour ainsi dire. […] Et lorsqu’il a dépeint la première entrée des troupes alliées dans Paris le 31 mars 1814, M. de Lamartine, montrant la curiosité succédant à la douleur à mesure qu’on avançait dans les quartiers brillants et le long des boulevards, avait dit : « Tout est spectacle pour une telle ville, même sa propre humiliation. » Quand on a écrit et pensé de telles paroles, on devrait être guéri, ce semble, du rôle de tribun, d’orateur populaire et ambitieux. […] Le portrait de la duchesse d’Angoulême m’a surtout choqué par une fausse expression de charmes et par une prodigalité de coloris qui fait contresens avec le caractère élevé, sévère et presque austère d’une figure si propre à inspirer uniquement le respect.

433. (1912) Le vers libre pp. 5-41

C’est le propre, d’ailleurs, des nouveautés d’art de déchaîner d’incompréhensibles tempêtes. […] Tandis que le vers classique ou romantique n’existe qu’à la condition d’être suivi d’un second vers, ou d’y correspondre à brève distance, ce vers pris comme exemple possède son existence propre et intérieure. […] L’importance de cette technique nouvelle, en dehors de la mise en valeur d’harmonies forcément négligées, sera de permettre à tout poète de concevoir en lui son vers ou plutôt sa strophe originale, et d’écrire son rythme propre et individuel au lieu d’endosser un uniforme taillé d’avance et qui le réduit à n’être que l’élève de tel glorieux prédécesseur. […] La rime et l’assonance doivent donc être des plus mobiles, soit que le poème soit conçu en strophes fermées, ou qu’on utilise la formule dénommée depuis laisse rythmique ou parfois strophe analytique dont le premier exemple se trouve dans les Palais Nomades, celle qui se rapproche le plus des discours classiques, la plus propre à un long énoncé de sentiments, ou bien qu’on emploie la brève évocation des lieds. […] J’ai la certitude que le vers libre durera parce que libre et à cause de cette élasticité qui lui a permis dès le début de s’enrichir de toutes les améliorations, je ne dis point seulement de beauté mais de technique que lui apportaient dès la première heure avec leur génie propre, d’abord Jules Laforgue, mon frère d’armes des temps de jeunesse, puis les Vielé-Griffin, Mockel, Verhaeren, Régnier, Stuart Merrill, Saint-Pol-Roux, Ferdinand Hérold, Henry Bataille, Paul Fort, Marinetti, Fontainas, Edmond Pilon, Klingsor, George Périn, Souza, Albert Saint-Paul.

434. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Quelle profonde connaissance du cœur humain décèle le caractère de ce don Juan, cet homme essentiellement insociable, pour qui faire le mal est un besoin, et qui s’irrite contre les bienfaits de son propre frère ! […] Cette invention jette si peu d’intérêt sur les premiers actes de la pièce, que Shakspeare ne l’a probablement adoptée que pour faire mieux ressortir ce caractère de soudaineté propre aux passions du climat. […] Hors de leur amour et de leur malheur, Orosmane et Zaïre n’ont rien qui les distingue, qui leur donne une physionomie propre et les fît partout reconnaître. […] Shakspeare n’a pas cru nécessaire de l’expliquer : Richard est parti de Flintcastle avec le nom de roi à la suite de Bolingbroke ; nous le revoyons signant sa propre déposition. […] On s’attache à lui comme à l’Alceste du Misanthrope, à un grand caractère victime d’une qualité que l’impétuosité de son humeur et la préoccupation de ses propres idées ont tourné en défaut.

/ 3087