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1596. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 45-49

L’Abbé de Rancé a encore ajouté à ses autres travaux une Relation de la vie & de la mort de quelques Moines de la Trappe, en 4 vol. où, d’un style simple & plein d’onction, il trace des tableaux propres à édifier & à mettre les sentimens de la Religion dans tout leur jour.

1597. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre V. Beau côté de l’Histoire moderne. »

Inquiets et volages dans le bonheur, constants et invincibles dans l’adversité, formés pour les arts, civilisés jusqu’à l’excès, durant le calme de l’État ; grossiers et sauvages dans les troubles politiques, flottants comme des vaisseaux sans lest au gré des passions ; à présent dans les cieux, l’instant d’après dans les abîmes enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnaissance, et le second sans en sentir de remords ; ne se souvenant ni de leurs crimes, ni de leurs vertus ; amants pusillanimes de la vie pendant la paix ; prodigues de leurs jours dans les batailles ; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n’est pas eux ; individuellement les plus aimables des hommes, en corps les plus désagréables de tous ; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l’étranger ; tour à tour plus doux, plus innocents que l’agneau, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre : tels furent les Athéniens d’autrefois, et tels sont les Français d’aujourd’hui.

1598. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XIII. Des Livres de Médecine, de Botanique, de Chymie, d’Anatomie, de Chirurgie, &c. » pp. 325-328

Il est donc nécessaire d’être instruit du grand art de guérir, & c’est dans cette vue que j’indiquerai les livres les plus propres à enrichir la collection d’un homme qui, sans vouloir tout approfondir, tâche pourtant de savoir ce qu’il ne doit pas ignorer.

1599. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Montesquieu, lent à se produire, dut causer très peu de ces transports hors de son cercle de société, et il semble que Buffon n’était guère propre à en exciter du tout : il était trop naturaliste et trop cru ; il imposait, il n’attachait pas. […] — Depuis lors, soit que l’élément féminin ou femmelin (comme l’a nommé un censeur austère) ait augmenté et redoublé chez les auteurs, soit que les femmes, de plus en plus appelées à l’initiation littéraire, aient répondu de plus en plus vivement, chaque écrivain célèbre a eu son cortège nombreux de femmes ; et si l’on retranche même ce qui est de la mode, de l’engouement, ce qui ne signifie rien en soi, puisque telle femme qui se jetait à la tête de lord Byron, de Chateaubriand ou de Lamartine, à leur moment, se serait jetée en d’autres temps à la tête d’un autre, il reste bien des physionomies particulières, distinctes, bien des figures non méconnaissables, dont l’entourage et l’accompagnement aideraient à définir le génie propre de l’écrivain et du poète ; car on aime si bien un auteur et on ne le préfère si décidément à tous, que parce qu’on s’apparente par quelque côté avec lui. […] Une de ses filles marquait une intelligence avancée : « Elle serait fort propre à faire une femme savante : beaucoup de facilité et de pénétration d’esprit, dit-on ; mais cela rend-il heureuse ? […] N’admirez-vous pas comme cet homme qui, dans le même temps, jugeait déjà si à faux de sa propre situation, et dont la vue allait se troubler de plus en plus sur tout ce qui le concernait lui-même, voyait et disait juste sur le cas d’autrui ? […] Après l’avoir étudiée de si près et dans ses propres confidences, je crois quelquefois, en vérité, qu’elle est là devant moi, intelligente et parlante ; je me la représente en personne, avec cette physionomie pétrie de tendresse, de finesse, de douce malice et de bonté : l’amour a passé par là, on le sent, non point précisément celui qui enflamme et qui ravage, mais celui qui brûle à petit feu et qui, toutes peines éteintes, laisse après lui une réflexion légèrement mélancolique et attendrie ; arrivée à cet âge où l’on n’espère plus et où l’on a renoncé à plaire, sans pour cela se négliger, dans sa mise de bon goût et simple, tout en elle est d’accord, tout se nuance, et s’assortit ; elle ne craint pas de laisser voir à son front et à ses tempes la racine argentée de ses cheveux où il a neigé un peu avant l’heure ; elle ne cherche pas à prolonger une jeunesse inutile et qui ne lui a donné que des regrets ; elle est aussi loin de l’illusion sentimentale et de l’éternelle bergerie d’une d’Houdetot, que de la sécheresse mordante et polie d’une Luxembourg ; elle a gardé la seule jeunesse du regard, l’étincelle aimante ; elle continue de sourire à cette vie qu’elle n’a guère connue que triste et amère ; elle rêve fidèlement à ce passé qui lui a valu si peu de douceurs, elle a le culte d’un souvenir, et si elle tient encore dans ses mains un livre à couverture bleue usée (comme dans ce portrait de femme attribué à Chardin), je suis bien sûr que c’est un volume de la Nouvelle Héloïse.

1600. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

À ce titre, la femme a son cortège personnel de solliciteurs et de protégés, et, comme son mari, ses amis, ses ennemis, ses ambitions, ses mécomptes et ses rancunes propres ; rien de plus efficace pour disjoindre un ménage que cette ressemblance des occupations et cette distinction des intérêts. — Ainsi relâché, le lien finit par se rompre sous l’ascendant de l’opinion. « Il est de bon air de ne pas vivre ensemble », de s’accorder mutuellement toute tolérance, d’être tout entier au monde. […] C’est le dernier trait du régime qui, après avoir dérobé l’homme aux affaires publiques, à ses affaires propres, au mariage, à la famille, le prend avec tous ses sentiments et toutes ses facultés, pour le donner au monde, lui et tous les siens  Au-dessous de lui, les belles façons et la politesse obligatoire gagnent jusqu’à ses gens, jusqu’à ses fournisseurs. […] « Être toujours gai, dit un voyageur anglais en 1785274, voilà le propre du Français », et il remarque que cela est d’obligation, parce qu’en France tel est le ton du monde et la seule façon de plaire aux dames, souveraines de la société et arbitres du bon goût. […] De fait, il le disait, et en propres termes. […] Un peu plus tard, Beaumarchais, lisant chez la maréchale de Richelieu son Mariage de Figaro, non expurgé, bien plus vert et bien plus cru qu’aujourd’hui, a pour auditeurs des évêques et des archevêques, et ceux-ci, dit-il, « après s’en être infiniment amusés, m’ont fait l’honneur de m’assurer qu’ils publieraient qu’il n’y avait pas un seul mot dont les bonnes mœurs pussent être blessées285 » : c’est ainsi que la pièce passa, contre la raison d’État, contre la volonté du roi, par la complicité de tous, même des plus intéressés à la supprimer. « Il y a quelque chose de plus fou que ma pièce, disait l’auteur lui-même, c’est son succès. » L’attrait était trop fort ; des gens de plaisir ne pouvaient renoncer à la comédie la plus gaie du siècle ; ils vinrent applaudir leur propre satire ; bien mieux, ils la jouèrent eux-mêmes  Quand un goût est régnant, il aboutit, comme une grande passion, à des extrémités qui sont des folies ; à tout prix, il lui faut la jouissance offerte.

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