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564. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Rousseau, dans le récit qui nous occupe, s’est attaché à montrer, durant une belle nuit d’été, le premier homme qui s’avisa de philosopher et de réfléchir, et il a prêté à cette philosophie naissante tout le charme, au contraire, de l’admiration et de la foi, toute l’ivresse d’un premier ravissement : Ce fut durant une belle nuit d’été que le premier homme qui tenta de philosopher, livré à une profonde et délicieuse rêverie et guidé par cet enthousiasme involontaire qui transporte quelquefois l’âme hors de sa demeure et lui fait, pour ainsi dire, embrasser tout l’univers, osa élever ses réflexions jusqu’au sanctuaire de la nature et pénétrer, par la pensée, aussi loin qu’il est permis à la sagesse humaine d’atteindre. […] Son parler était simple et doux, et pourtant profond et sublime ; sans étonner l’oreille, il nourrissait l’âme : c’était du lait pour les enfants et du pain pour les hommes. […] En revanche, je ne crains ni d’avouer mes erreurs, ni de réparer mes fautes… » Le sentiment qu’inspire la lecture suivie des lettres et pensées qu’on trouve ici rassemblées telles quelles, est celui d’une pitié profonde.

565. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Je montrais un grand respect à ma mère, une obéissance sans bornes à l’Impératrice, la considération la plus profonde au grand-duc, et je cherchais avec la plus profonde étude l’affection du public. » Et encore « Je m’attachais plus que jamais à gagner l’affection de tout le monde en général : grands et petits, personne n’était négligé de ma part, et je me fis une règle de croire que j’avais besoin de tout le monde, et d’agir en conséquence pour m’acquérir la bienveillance ; en quoi je réussis. » Elle rencontra, à ce moment difficile et décisif, un conseiller excellent : c’était un Suédois de beaucoup d’esprit, qui n’était plus jeune, le comte Gyllenbourg. […] Elle ne ressemblait pas à Frédéric qui se passait de lecture allemande et ne lisait que des ouvrages français ; elle en lisait aussi en russe et trouvait à cette langue adoptive, qu’elle s’appliquait à parler et à prononcer en perfection, « bien de la richesse et des expressions fortes. » Les Annales de Tacite qu’elle lut en 1754 seulement, c’est-à-dire à l’âge de vingt-cinq ans, opérèrent, dans sa tête une singulière révolution, « à laquelle peut-être la disposition chagrine de mon esprit à cette époque, nous dit-elle, ne contribua pas peu : je commençais à voir plus de choses en noir, et à chercher des causes plus profondes et plus calquées sur les intérêts divers, dans les choses qui se présentaient à ma vue. » Elle était alors dans des épreuves et des crises de cœur et de politique d’où elle sortit haute et fière, avec l’âme d’un homme et le caractère d’un empereur déjà.

566. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Y a-t-il rien dans cette histoire qui donne à soupçonner des visées cachées, un double sens, une intention profonde ? […] A vrai dire, si j’oublie tout ce que la critique a fait de raisonnements et de théories à ce sujet, si je me laisse tout simplement aller à l’impression de ma lecture, je n’aperçois rien de si mystérieux ni de si profond. […] Notre profonde conviction est que l’œuvre de Cervantes est méconnue dans ce qui en fait la haute portée, en ce sens que généralement on ne lui attribue que l’intention de ridiculiser et la chevalerie et les livres de chevalerie.

567. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

Quinet dont nous parlerons tout à l’heure, appartient comme lui à cette génération infatigable et généreuse, pure, avide d’espérance, insatiable de beaux désirs, de laquelle lui-même il a dit en un endroit : Toute une nation puissante qui s’éprend Pour le bien, pour le bon, pour le beau, pour le grand ; Et toute une jeunesse ardente et sérieuse, Qui pâlit de travail, et, les larmes aux yeux, Cherchant son avenir, au plus profond des cieux Suit l’étoile mystérieuse. […] Ce mal de faiblesse, d’indifférence, parfois de lâcheté, dans le caractère politique, dont semble travaillé le pays ; ce mal, dont 1814 et 1815 ne furent qu’une des circonstances les plus aggravantes, et dont les causes profondes remontent à des crises bien antérieures, et jusqu’en 91, en 93, au 18 fructidor, au 18 brumaire, etc. ; ce mal-là se concentre tout entier pour M. […] Antiquaire par son érudition allemande, poëte et philosophe par ses vues profondes et intimes sur l’histoire de l’humanité, familier avec les idées des Niebühr et des Gœrres, épris de l’imagination pittoresque de l’auteur de l’Itinéraire, il aborde la Grèce et l’interroge par tous les points, sur son antiquité, sur ses races, sur la nature de ses ruines, sur les vicissitudes de ses États, sur ses formes de végétation éternelle ; il saisit, il entend, il compose tous ces objets épars ; il les enchaîne et les anime dans un récit vivant, fidèle, expressif, philosophique ou lyrique par moments, selon qu’il s’élève aux plus hautes considérations de l’histoire des peuples, ou selon qu’il retombe sur lui-même et sur ses propres émotions ; c’est une œuvre d’art que ce récit de voyage : le sens historique et le sens des lieux y respirent et s’y aident d’un l’autre ; l’harmonie y règne ; le souffle du dieu Pan y domine ; l’interprétation du passé, depuis les époques cyclopéennes et homériques jusqu’à la féodalité latine, y est d’un merveilleux sentiment, et elle pénètre de toutes parts dans l’âme du lecteur, sinon toujours par voie claire et directe, du moins à la longue par mille sensations réelles et continues, comme il arriverait à la vue des ruines mêmes et sous l’influence du génie des lieux.

568. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

Des yeux larmoyants, profonds, ténébreux. […] Et les odeurs mêmes que nous mettons dans l’eau prennent, il nous semble, cette fade et nauséabonde odeur de cérat… Il nous faut nous arracher de l’hôpital et de ce qu’il laisse en vous, par quelque distraction violente. » 23 Cette réaction au contact de la réalité dolente, est surtout l’apanage des sincères, des vibrants, des profonds artistes… « Lorsqu’on est empoigné de cette façon, lorsqu’on sent ce dramatique vous remuer ainsi dans la tête, et les matériaux de votre œuvre vous faire si frissonnant, combien le petit succès du jour vous est inférieur, et comme ce n’est pas à cela que vous visez, mais bien à réaliser ce que vous avez perçu avec l’âme et les yeux. » 24 Ce dernier desideratum n’est plus du tout celui d’Hector Malot dont les procédés de documentation, évidemment du meilleur réalisme, s’accordent le plus joliment du monde avec un très avéré désir de publicité, de succès. […] On peut être profond observateur et clinicien véridique sans être apanagé du moindre parchemin médical33.

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