Plus tard, dans ses loisirs occupés sous la Restauration, il fera de même : indépendamment de ses grands travaux d’histoire, de ses devoirs comme pair de France, de son assiduité aux commissions et aux sociétés dont il était membre, des rapports et discours académiques qu’on aimait à lui voir faire et dont il s’acquittait volontiers, il trouvait encore moyen de se donner des tâches surérogatoires : il écrivait en détail des remarques, des cahiers d’observations sur les ouvrages que des amis lui soumettaient ; il y a telle tragédie qu’il examinait plume en main, acte par acte, scène par scène, comme il eût fait aux premiers temps de sa jeunesse dans sa petite académie de Montpellier. […] Elle est ancienne et nouvelle à la fois ; remontant aux premiers siècles du Moyen Âge, elle arrive jusqu’à nos jours ; nous en avons vu la fin. […] Le séjour qu’il avait fait autrefois en Bretagne dans les premières années de la Révolution, et le caractère isolé et tout à fait distinct de cette province, le déterminèrent à la choisir pour le sujet premier de son étude. […] Dans l’épilogue qui termine le chant VIe et que je veux citer pour exemple du ton, l’auteur se représente comme ayant passé la nuit à méditer sur ces astres sans nombre et sur tout ce qu’ils soulèvent de mystères, jusqu’au moment où l’aube naissante les fait déjà pâlir et quand, à côté de lui, l’insecte s’éveille au premier rayon du soleil : Ainsi m’abandonnant à ces graves pensées, J’oubliais les clartés dans les Cieux effacées : Vénus avait pâli devant l’astre du jour Dont la terre en silence attendait le retour ; Avide explorateur durant la nuit obscure, J’assistais au réveil de toute la nature : L’horizon s’enflammait, le calice des fleurs Exhalait ses parfums, revêtait ses couleurs ; Deux insectes posés sur la coupe charmante S’enivraient de plaisir, et leur aile brillante Par ses doux battements renvoyait tous les feux De ce soleil nouveau qui se levait pour eux ; Et je disais : « Devant le Créateur des mondes « Rien n’est grand, n’est petit sous ces voûtes profondes, « Et dans cet univers, dans cette immensité « Où s’abîme l’esprit et l’œil épouvanté, « Des astres éternels à l’insecte éphémère « Tout n’est qu’attraction, feu, merveille, mystère. » Ce sont là des vers français qui me font l’effet de ce qu’étaient les bons vers latins du chancelier de L’Hôpital et de ces doctes hommes politiques du xvie siècle s’occupant, se délassant avec gravité encore, dans leur maison des champs, comme faisait M. […] Il en est résulté que mes premiers travaux, quoique assidus, n’ont pas été toujours assez sérieux : j’ai fait trop de traductions, trop de vers.
Il avait depuis peu (novembre 1787) assuré son bonheur domestique en épousant une femme qui avait eu autrefois une grande beauté, qui en gardait quelque chose, veuve, ayant déjà passé les belles années de la jeunesse, mais qui avait été l’amie intime de sa mère : il la voyait telle encore qu’il l’avait vue au premier jour. […] Je suis un exemple bien sûr qu’on peut parvenir à tout et aux premiers honneurs sans intrigue. […] Au reste, il aurait fallu à Bailly un fonds d’humeur bien morose et un grain de misanthropie bien prononcée pour ne pas voir tout en beau en ces premiers mois où tout lui souriait, et où la publique estime lui apportait à chaque mouvement de l’opinion une surprise flatteuse et une récompense. […] Il est et sera inébranlable sur certains principes d’égalité et de bon sens équitable, qui sont et resteront vrais à travers toutes les fluctuations successives, principes conquis une fois pour toutes et sur lesquels repose désormais l’ordre moderne ; il ne se trompe pas en appréciant ces premiers et grands actes du tiers état auxquels il eut l’honneur de participer, de présider : « Voilà ce qu’elles ont fait seules, dit-il des Communes par opposition aux deux autres ordres privilégiés et résistants ; voilà ce qui fut la base de la Constitution française. […] Les beaux jours de Bailly sont passés, il n’aura plus désormais que des instants ; il le reconnaît lui-même, du moment qu’il est nommé maire et premier magistrat de la capitale, « ce jour-là, mon bonheur a fini ».
Il en fut tout à fait lorsqu’il eut acheté de De Vizé la charge de premier valet de chambre de la reine. […] Il se compare à Clément Marot, poète et valet de chambre également, et qui s’est mal trouvé en Cour des accusations et calomnies de ses ennemis ; mais Sénecé n’a pas d’ennemis, il n’a pas été calomnié ; à lui, il ne lui est arrivé qu’un accident bien simple : une mort de reine l’a dégagé d’une domesticité honorifique, d’une chaîne dorée ; il est retombé dans son ordre et dans sa classe : c’est assez pour son malheur, pour son incurable ennui, car le bonheur le plus souvent dépend pour nous de ce premier cadre idéal dans lequel l’imagination, dès la tendre jeunesse, s’est accoutumée à placer et à découper la perspective flatteuse de la vie. […] Le ton des premiers vers est assez noble et élevé : Apollon fut soumis, même avant qu’être né, À l’injuste rigueur d’un astre infortuné. […] C’est là aussi la théorie de Sénecé ; il préfère Martial à tout ; il n’a pas étudié l’épigramme à sa première source la plus classique : il n’a en rien le grand goût, pas même le grand goût dans l’épigramme ; mais le joli et le spirituel, il le sent bien. […] Travail, art, nature, foyer intérieur, sentiment, éclat et flamme, c’est de tous ces éléments combinés et pressés, que se compose à des degrés différents et variés à l’infini ce charme que la muse seule possède, dont elle seule livre le secret au petit nombre, et qui fait que l’agrément du premier jour est aussi l’agrément qui ne périt pas.
rappelle-toi nos anciens amis, les grands hommes que nous avons lus, que nous avons adorés ensemble, le siècle où nous vivons, tes premiers penchants, le caractère de ton esprit, et l’espèce de bonheur qui était l’objet de tes désirs. […] Telles furent les instructions secrètes que recevait du premier magistrat de son pays ce bailli de trente-trois ans. […] Comment n’en eût-il pas été, l’aimable et hospitalier bailli de Nyon (car ce fut le second gouvernement de Bonstetten) qui, aux belles années finissantes de Louis XVI et aux premières années de la Révolution (1787-1792), eut l’occasion de recevoir, d’accueillir la meilleure compagnie française, le monde élégant des émigrés, et de leur adoucir la première étape de l’exil ? […] Bonstetten déjeunait un jour chez eux en famille ; il n’y avait que M. et Mme Necker, et leur fille non encore mariée et dans sa première jeunesse. […] On ne leur parlait qu’à genoux : Je me souviens, raconte Bonstetten, qu’une des premières informations que j’eus chez moi comme juge fut celle d’une dame accompagnée de ses deux filles.
Les autres académiciens, après cette première information, restent bien libres d’intervertir les rangs et de voter à leur gré ; mais, en général, il faut être porté sur la liste pour obtenir les suffrages de la Compagnie. […] Ce fut aussi chose à peu-près convenue dès lors, dans l’opinion, que les autres Académies moins nobles travaillaient, publiaient des mémoires, des recueils savants dont on leur demandait un compte exact et fréquent mais que l’Académie française, à part son Dictionnaire qu’elle retouchait de temps en temps et qu’elle recommençait toujours, ne travaillait pas : elle était censée comme les lis de la vallée, « qui ne travaillent ni ne filent. » Une conséquence qui découlait de cette distinction première : toutes les autres Académies eurent des académiciens libres ou amateurs ; l’Académie française seule n’en eut pas. […] Voilà trente ans et plus que cet homme de mérite, cet ancien rédacteur du premier Correspondant, suit sa voie, écrit des livres d’histoire bien étudiés, persévère dans ses principes, dans ses honorables travaux : il ne demande en récompense qu’une heure brillante qui les couronne. […] Après ce premier nom vaguement jeté, on en était à se demander qui encore ? […] Mais il y a une renaissance de tribune : écoutons de ce côté, nous l’y retrouvons encore ; mais nous y rencontrons aussi, et en première ligne, M.