/ 1981
429. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Elle mérite d’être appelée classique, s’il est vrai que l’art classique soit celui qui ne prétend pas tirer de l’effet plus qu’il n’a mis dans la cause. […] C’est ainsi que nous rions du prévenu qui fait de la morale au juge, de l’enfant qui prétend donner des leçons à ses parents, enfin de ce qui vient se classer sous la rubrique du « monde renversé ». […] Que dirait-on du chimiste qui aurait les corps à discrétion dans son laboratoire, et qui prétendrait ne les étudier qu’à l’état de simples traces dans l’atmosphère ? […] Tandis que la comparaison qui instruit et l’image qui frappe nous paraissent manifester l’accord intime du langage et de la nature, envisagés comme deux formes parallèles de la vie, le jeu de mots nous fait plutôt penser à un laisser-aller du langage, qui oublierait un instant sa destination véritable et prétendrait maintenant régler les choses sur lui, au lieu de se régler sur elles.

430. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Sans prétendre décider qui avait tort ou raison dans ce démêlé assez compliqué et sur lequel nous n’entendons qu’une des parties, une seule chose en ressort pour moi avec évidence, c’est que Mme de La Fayette, qui savait mieux que personne ce que c’était que crédit et considération, n’en accordait pas beaucoup à Lassay à cette époque de sa vie, qu’il ne paraissait pas être de ceux avec qui l’on compte, et qu’il était temps pour lui de songer à refaire sa situation et auprès du roi et dans le monde. […] Ce sont ces années actives et fécondes de la première maturité qu’il regrettait plus tard de n’avoir pu appliquer selon qu’il s’en estimait capable : repassant sa vie dans sa vieillesse et faisant son examen de conscience, il croyait qu’il y avait moins encore de sa faute dans cette médiocre fortune que de celle de son étoile : Si on me demande ce que c’est qu’étoile, disait-il, je répondrai que je ne le sais pas ; je sais seulement que c’est quelque chose de réel qu’on ne connaît point ; et je suis persuadé que ceux qui prétendent que notre bonne ou notre mauvaise fortune dépend de notre conduite ont grand tort ; elle y peut beaucoup, mais l’étoile y peut encore plus. Je vais dire une chose où il y a bien de la vanité ; il n’importe, car je ne prétends pas que ceci soit vu de personne48 : si mon étoile avait eu quelque proportion avec les qualités qui sont en moi, je serais plus élevé que je ne suis ; mais elle est faible et commune, je l’ai éprouvé cent fois.

431. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Ce plan consistait à ne pas autrement s’inquiéter de la ligne fortifiée de l’Elbe occupée par Napoléon, à déboucher de la Bohême en courant sur Leipsick, à prendre Napoléon à revers et à prétendre le couper de ses communications sur le Rhin. […] Mais je ne prétends point exposer en détail ce nouvel ordre de services que rendit Jomini à la cause européenne : cela, je l’avoue, me coûterait un peu. […] Pour expliquer ces variantes de récit de la part de témoins bien informés et qui se prétendent sincères, n’oublions pas aussi que ces ordres dictés par l’Empereur, et que nous lisons aujourd’hui si nettement dans un livre, n’arrivaient pas tous à point à leur destination ; qu’il y avait des interruptions, des intervalles remplis d’incertitudes, durant lesquels il fallait conjecturer, deviner, commencer à se décider de son chef ; que le major général Berthier interprétait lui-même un peu les ordres de l’Empereur en les transmettant et les développant, et qu’il avait bien pu, le 13 mai, accentuer davantage encore la possibilité qu’il y aurait pour Ney d’avoir bientôt à faire un à gauche sur Berlin.

432. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Tous également, chacun à sa façon, prétendaient renchérir sur la nature, et faire mieux qu’elle ; par une délicatesse aristocratique, ils en avaient peur, comme trop grossière, ou mépris, comme trop simple. […] D’autres, qui prétendaient décrire le monde des réalités visibles, chargeaient leur tableau de tant de couleurs, altéraient ou grossissaient si fantastiquement toutes les formes, que la nature n’était plus que le prétexte et non le sujet de leur peinture. […] Si, en effet, « rien n’est beau que le vrai », et si le charme, le je ne sais quoi qui transporte dans les ouvrages de l’esprit « consiste principalement à ne jamais présenter au lecteur que des pensées vraies et des expressions justes », on ne doit pas prétendre à tout prix trouver du nouveau, ni se décourager de n’en pas rencontrer.

433. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

L’un s’engage à remuer du bout de son petit doigt une énorme boule de fer qui git dans une salle du palais ; un autre se flatte de faire éclater les mailles d’un haubert en gonflant les veines de son cou et les muscles de sa poitrine ; un troisième prétend toucher un écu sur le haut d’une tour en lançant une flèche d’un quart de lieue. […] L’autre prétend que la littérature n’est pas seulement un jeu d’esprit et une amusette pour oisifs ; qu’elle propage des idées et des sentiments en les exprimant ; qu’elle suggère parfois des actes ; qu’étant une force considérable, elle peut et doit travailler au progrès moral et social, devenir un instrument de perfectionnement individuel et collectif. […] J’ignore si l’anecdote est authentique, et peu m’importe ; mais elle enseigne que, pour mesurer le résultat obtenu par l’effort de ceux qui prétendent terrasser un vice ou une superstition, il faut très souvent regarder dans la direction opposée au but qu’ils ont visé.

/ 1981