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501. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) «  Mémoires de Gourville .  » pp. 359-379

Le bonheur de Gourville ne l’abandonne même pas à la Bastille ; il y est conduit aussi doucement et logé aussi commodément que possible. […] Notez que cet emprisonnement de Gourville paraît être, d’après ce que lui-même raconte, assez injuste et peu fondé en motifs ; mais il ne s’en indigne pas ; il n’a pas cette faculté de s’indigner de l’injustice ; il connaît trop son monde, il ne prétend que faire tourner le plus possible cet accident à profit pour l’avenir. […] Dans la dernière maladie qu’il fit, étant à Fontainebleau, au moment de mourir, il exprima à Gourville ses intentions pour son testament, et en peu de paroles il lui déclara ce qu’il voulait faire pour ses domestiques et pour lui en particulier, à qui il destinait cinquante mille écus, ajoutant obligeamment qu’il ne pouvait jamais reconnaître assez les services qu’il lui avait rendus : Je ne lui répondis rien, continue Gourville, et m’en allai faire dresser ce testament par son secrétaire, et sans notaire, avec toute la diligence possible.

502. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

Dans cette formation du parti libéral où il entrait alors tant d’éléments divers, Courier reste ce qu’il était de tout temps, le plus antibonapartiste possible, ennemi des grands gouvernants, se faisant l’avocat du paysan, l’homme de la commune, prêchant l’économie, parlant contre la manie des places, voulant de gouvernement le moins possible, faisant des sorties contre la Cour et les gens de cour toutes les fois qu’il y a lieu, méconnaissant ce qu’il y a eu de grand, d’utile, de nécessaire dans l’établissement des Louis XIV, des Richelieu, des grands directeurs de nations, disant en propres termes, pour son dernier mot et son idéal : « La nation enfin ferait marcher le gouvernement comme un cocher qu’on paie, et qui doit nous mener, non où il veut, ni comme il veut, mais où nous prétendons aller, et par le chemin qui nous convient » ; disant encore, et cette fois plus sensément : Il y a chez nous une classe moins élevée (que les courtisans), quoique mieux élevée, qui ne meurt pour personne, et qui, sans dévouement, fait tout ce qui se fait ; bâtit, cultive, fabrique autant qu’il est permis ; lit, médite, calcule, invente, perfectionne les arts, sait tout ce qu’on sait à présent, et sait aussi se battre, si se battre est une science. […] Il se fait donc, et ici bien sincèrement, je le crois, aussi paysan et aussi manant que possible, et, son parti une fois pris, il va le défendre vertement et joliment, dans une langue polie, courte, sans article, saccadée et scandée, alerte et pénétrante.

503. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Quand il le sait malade et qu’il le voit comme prêt à s’évanouir dans sa pure essence, il s’écrie : La seule pensée de votre mort me sert d’argument pour prouver l’immortalité de l’âme ; car serait-il possible que cet être qui vous meut et qui agit avec autant de clarté, de netteté et d’intelligence en vous, que cet être, dis-je, si différent de la matière et du corps, cette belle âme douée de tant de vertus solides et d’agréments, cette noble partie de vous-même qui fait les délices de notre société, ne fût pas immortelle ? […] Et encore (21 mars 1738) : « Quant à mon esprit, je le cultive autant qu’il m’est possible. […] Vous que je compte au nombre de ces derniers, vous voudrez bien vous persuader de plus en plus que vous trouverez en moi tout ce qu’Oreste trouva jamais dans Pylade… Par ces derniers mots, et à la veille de l’exécution, Frédéric se montrait fidèle à ce qu’il disait à son ami dès l’origine de leur liaison, et à ce qu’il n’avait cessé de lui répéter : Si jamais je puis être le moteur de vos destinées, je vous garantis que je n’aurai d’autre soin que celui de vous rendre la vie aussi agréable qu’il me sera possible.

504. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

On peut en toute sécurité en inférer que toutes les espèces de plantes ou d’animaux tendent à se multiplier en raison géométrique, que chacune d’entre elles suffirait à peupler rapidement toute contrée où il leur est possible de vivre, et que leur tendance à s’accroître selon une progression mathématique doit être nécessairement contre-balancée par des causes de destruction à une période quelconque de leur existence. […] On a émis l’idée que les Papillons pouvaient aider à la fécondation des Trèfles ; mais je doute que ce soit possible à l’égard du Trèfle rouge, leur poids ne paraissant pas suffisant pour déprimer les ailes de la corolle. […] Tout ce qui nous est possible, c’est d’avoir constamment à l’esprit que tous les êtres vivants s’efforcent perpétuellement de se multiplier en raison géométrique ; mais que chacun d’eux, à certaines périodes de la vie, en certaines saisons de l’année, pendant le cours de chaque génération ou à intervalles périodiques, doit lutter contre de nombreuses causes de destruction.

505. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

Tant que cette conception sera en honneur parmi nous, nul élargissement d’humanité ne sera possible. […] Cependant si l’analogie est possible, bien plus, si elle ne peut pas ne pas exister entre l’organisme naturel et l’organisme social, il est évident que la vie intérieure des deux organismes se double d’une vie extérieure, et que la nation participe à cette faculté de l’individu qui est de ne pouvoir vivre isolé.‌ […] La pensée de demain, qui semble aussi éloignée d’ériger en Stylite l’individu que de l’anéantir pour l’illusoire bonheur de tous, concevra comme possible son épanouissement au sein de l’universel.‌

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