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140. (1914) Enquête : L’Académie française (Les Marges)

De tout temps elle posséda des écrivains véritables, un plus grand nombre de vagues prosateurs et poètes assaisonnés de puissances éphémères : hommes de Cour autrefois, hommes politiques depuis 1830. […] Dans tous les cas, l’Académie actuelle égale au moins celle de Richelieu ; elle ne possède point, qu’il me semble, de Boisrobert. — Non, elle ne va plus jusque-là. […] Ils ont, presque tous, pratiqué le culte constant des camaraderies littéraires indispensables et la politesse assidue des relations mondaines Ce sont parfois d’habiles spéculateurs de cette crédulité publique avide de posséder des étiquettes officielles de talent et des garanties de valeurs.

141. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

Ceux qui croient que la vérité est une non seulement en morale, mais en religion, en politique, en tout, qui croient posséder cette vérité en eux et la démontrer à tous par des signes clairs et manifestes, voudraient à chaque instant que la littérature ne s’éloignât jamais des lignes exactes qu’ils lui ont tracées ; mais comme il est à chaque époque plus d’une sorte d’esprits vigoureux et considérables (je ne parle ici ni des charlatans ni des imposteurs) qui croient posséder cette vérité unique et absolue, et qui voudraient également l’imposer, comme ces esprits sont en guerre et en opposition les uns avec les autres, il s’ensuit que la littérature, la libre pensée poétique ou studieuse, tirée ainsi en divers sens, serait bien embarrassée dans le choix de sa soumission. […] Janin contînt et possédât toujours ainsi son style, qu’il mît parfois le holà !

142. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Mais il faut se souvenir ici que le Bovarysme ne consiste pas seulement à préférer une qualité que l’on n’a pas à une qualité que l’on possède. Le Bovarysme existe, a-t-on dit, dès que l’ordre hiérarchique des énergies se montre interverti dans l’esprit et dans l’appréciation de celui qui possède ces énergies, dès qu’il préféra une énergie moins forte, à une plus forte. […] S’agit-il de se convaincre que l’on possède, au lieu de la distinction suprême du bon ton, la supériorité de l’esprit, les procédés ne sont pas empreints d’une moindre niaiserie ni ne sont d’un emploi plus difficile.

143. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Toute une part de l’humanité va la prendre pour idéal, se concevoir à son image, faire effort pour la posséder. […] Celui-ci, qui ne possède encore aucun plan organique, aura tout avantage à se concevoir autre qu’il n’est, à mettre à profit les expériences des autres groupes déjà constitués, car il abrège, par cet expédient, la lente période de formation par laquelle ces groupes ont dû passer avant de parvenir à l’état organique, il s’épargne mille vains essais ; du premier coup, il use d’un système qui déjà a prouvé son efficacité à faire vivre des hommes en société. […] D’ailleurs, ce moule dont le groupe nouveau va accepter l’empreinte n’est jamais si rigide que, par la vertu d’originalité propre qu’il possède, il ne le modifie à son tour.

144. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Enfin celle qui personnifie la mère douloureuse et voilée de ces drames, la créature souillée et candide qui répand sa douleur en pitié, on sait sa physionomie, le détail de sa chambre, les pièces de son costume ; celle qui restaura la paix dans l’âme défaite du criminel et lui rendit, par quelques paroles tremblantes, la joie de posséder des frères, est une pâle petite fille à la figure menue, dont les yeux, sous des cheveux blonds de lin, sont purs. […] Cependant cet art de pur réalisme que Dostoïewski possède si parfaitement, n’est pas le sien : il ne décrit ni n’analyse, pour reproduire la vie et il semble qu’il n’use de ses aptitudes à la vraisemblance, que pour réprimer l’excès de ses facultés de visionnaire. […] Le mystère du sort de Nelly, entrevu dès le début, est maintenu sans alternative pendant tout le livre, comme le problème de la constance du prince Alexis ; les Possédés, L’Idiot, d’autres nouvelles sont de même des œuvres immobiles, d’inutile et morne agitation ; quant à Crime et châtiment, il est d’un bout à l’autre la description merveilleusement monotone et saisissante de la lutte d’un inaccusable criminel contre toute la société, sans que ce duel ait d’autres phases que de durs assauts sans cesse donnés et repoussés.

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