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378. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Rosny refusa net, et, Henri IV s’informant si son ordre avait été exécuté et si les Suisses allaient être payés, Sancy tout en colère répondit : « Non, je n’y vais pas, Sire ; car il ne plaît pas à votre M. de Rosny qui fait l’empereur dans son logis, et dit qu’il ne connaît personne… ; étant là assis sur ses caques d’argent comme un singe sur son bloc ; et ne sais si vous y aurez plus de crédit que les autres. » Cependant l’envoi était déjà fait, et l’argent porté au quartier des Suisses ; Rosny l’avait fait de lui-même après avoir bien marqué que ce n’était point en vertu de l’espèce d’ordre que lui avait envoyé Sancy. […] Porté à la tête des finances dans le temps même où la paix de Vervins (1598) permettait de réduire les dépenses extraordinaires et d’établir un ordre régulier, il s’appliqua à dresser de nouveau un état général sur des bases plus sûres qu’il ne l’avait pu faire jusque-là, et en ne se fiant cette fois qu’à lui-même. […] À un certain moment, il a une idée politique assez grande et qui est à lui, d’attaquer l’Espagne par le cœur et les entrailles, c’est-à-dire par les Indes, qui sont sa force ; mais en même temps il n’est pas d’avis que la France profite de la dépouille en colonisant ; il estime ces sortes d’entreprises lointaines disproportionnées au naturel des Français, « qui ne portent ordinairement leur vigueur, leur esprit et leur courage qu’à la conservation de ce qui les touche de près ». […] Lui qui croyait aux pronostics, il dut se rappeler un horoscope qui avait été tiré à la naissance de Louis XIII devant Henri IV, et qui portait : « Désolations menacent vos anciennes assistances ; vos ménagements seront déménagés. » Le pronostic se réalisait, et toute l’œuvre de Henri IV s’écroulait ou du moins allait rester près de quinze ans interrompue et pendante.

379. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

Le roi mande ses barons à Paris, et leur fait faire serment qu’ils porteront foi et loyauté à ses enfants si aucune chose fâcheuse lui advient dans le voyage : « Il me le demanda, dit Joinville ; mais je ne voulus point faire de serment, car je n’étais pas son homme. » L’amitié si tendre qui bientôt attachera Joinville à saint Louis laissera toujours subsister cependant ce coin d’indépendance féodale et personnelle, ou plutôt cet esprit de légalité qui consistait à dépendre avant tout et à relever du seigneur immédiat. […] Joinville qui, pour lors, était assez gravement malade, s’y fit porter et soutenir par les bras. […] Ce jour-là, avant le débarquement sur la plage d’Alexandrie, l’ordre du jour disait : Soldats…, vous portez à l’Angleterre le coup le plus sensible, en attendant que vous lui donniez le coup de mort… Vous réussirez dans toutes vos entreprises… Les destins vous sont favorables… Dans quelques jours les mamelouks qui ont outragé la France n’existeront plus… Les peuples au milieu desquels vous allez vivre tiennent pour premier article de foi qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu, et que Mahomet est son prophète ! […] On avait conseillé au roi de rester en sa nef jusqu’à ce qu’il eût vu l’effet de cette première opération ; mais il n’y voulut point entendre : il se mit dans une barque avec le légat, qui portait devant lui une croix toute découverte, et devant eux marchait une autre barque où flottait la bannière de saint Denis appelée l’oriflamme.

380. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Ils portent avec eux leur mythologie toute faite, leurs habitudes et leur ton de société, leur jargon. […] Ce sont tous gens qui se mettent en chemin non pour regarder et voir les choses comme elles sont, mais pour y porter leur esprit, leur manière de dire, et en égayer leur coterie de la ville. […] — La conversation continue ainsi par une suite de contre-vérités les plus piquantes, et dont chacune portait coup à Paris. […] On me répondit : « On vient de porter l’officier de quart dans sa chambre ; il est évanoui ainsi que le premier pilote.

381. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Toutes les carrières sont ouvertes à tous, et une ambition, louable dans son principe quand elle n’est pas trop en disproportion avec les moyens et qu’elle s’appuie sur d’honnêtes efforts, porte chacun à se pousser, à s’élever, ou du moins à pousser les siens et à porter ses enfants là où l’on n’a pas atteint soi-même : de là bientôt un concours de tous dans les mêmes voies d’études et vers un petit nombre de professions plus particulièrement en estime ; de là l’encombrement de quelques carrières. […] Or, tout en s’occupant, il est vrai, de l’Amérique, mais en pensant aussi beaucoup à l’Europe, Franklin a porté les jugements les plus irrévérencieux et les plus moqueurs sur le système d’éducation qui continuait de prévaloir sous ses yeux. […] Peu à peu cependant, à mesure que la mode des perruques et celle des coiffures élégantes prévalut, les gens comme il faut perdirent l’habitude de mettre leur chapeau pour ne point déranger l’édifice artificiel ou la poudre de leur chevelure ; les parapluies commencèrent à faire l’office du chapeau ; cependant on a continué de considérer celui-ci comme une part si essentielle de la toilette, qu’un homme du monde n’est point censé habillé sans en avoir un ou quelque chose d’approchant, qu’il porte sous le bras ; si bien qu’il y a quantité de gens polis dans toutes les cours et les capitales d’Europe qui n’ont jamais, eux ni leurs pères, porté un chapeau autrement que sous le bras, quoique l’utilité d’une telle mode ne soit aucunement évidente, et que ce soit même très gênant. […] Il disait encore « que lorsque l’usage de porter de larges manches ou parements avec des boutons avait commencé, il y avait à cela une raison : les parements pouvaient être rabattus sur les mains, et les préserver ainsi de l’humidité et du froid.

382. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Là, nous composions des lettres, ou plutôt des volumes, qui, pour être du style le plus pathétique, ne nous portaient pas moins à des rires immodérés, par le contraste de la tranquillité d’âme du comte de Frise avec la peinture des agitations que nous lui supposions, et le penchant que j’ai toujours eu à la gaieté. […] Lorsqu’il eut fait nommer Amelot, ministre de la Maison du roi, à la place de Malesherbes, il était le premier à dire à qui voulait l’entendre : « On ne dira pas que j’aie pris celui-là pour son esprit. » Un jour Besenval avait à se plaindre du ministre de la guerre, M. de Saint-Germain, qui ne l’avait point porté sur la liste des lieutenants généraux employés, ce qui d’ailleurs lui était assez égal, il a le soin de nous le dire (car c’est bien son genre, sa conclusion finale favorite, de dire de toutes choses : Ça m’est égal) ; il alla trouver M. de Maurepas, et se mit à lui parler en détail du singulier ministre de la guerre qu’il s’était choisi : Je démontrai à M. de Maurepas ses fautes (les fautes de M. de Saint-Germain), sa mauvaise administration, enfin son incapacité. […] Il le portait quelquefois même dans les choses du service. […] Sa Majesté, après m’avoir recommandé le plus grand secret sur ce qu’elle allait me confier me raconta que, s’étant trouvé seule avec le baron, il avait commencé par lui dire des choses d’une galanterie qui l’avait jetée dans le plus grand étonnement, et qu’il avait porté le délire jusqu’à se précipiter à ses genoux en lui faisant une déclaration en forme.

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