La composition et la publication de son premier recueil n’avaient fait que le mettre en train et en verve ; il sentait que ce n’était qu’en écrivant, et en écrivant des vers, qu’il pouvait échapper complètement à sa mélancolie : Il y a, disait-il vers ce temps, il y a dans la peine et le travail poétique un plaisir que le poète seul connaît : les tours et les détours, les expédients et les inventions de toute sorte auxquels a recours l’esprit, à la poursuite des termes les plus propres, mais qui se cachent et qui ne se laissent point prendre aisément ; — savoir arrêter les fugitives images qui remplissent le miroir de l’âme, les retenir, les serrer de près, et les forcer de se fixer jusqu’à ce que le crayon en ait tiré dans toutes leurs parties une ressemblance fidèle ; alors disposer ses tableaux avec un tel art que chacun soit vu dans son jour le plus propice, et qu’il brille presque autant par la place qui lui est faite, que par le travail et le talent qu’il nous a coûtés : ce sont là des occupations d’un esprit de poète, si chères, si ravissantes pour sa pensée, et de nature à le distraire si adroitement des sujets de tristesse, que, perdu dans ses propres rêveries, heureux homme ! […] Tu sais que ma louange de la nature est la plus sincère, et que mes ravissements ne sont point évoqués exprès pour procurer des occasions de pompe et de peinture poétique, mais qu’ils sont vrais, et tu les as tous partagés. […] J’ai encore à dire ; je voudrais marquer les rapports de la mélancolie de Cowper avec celle de Pascal, ses ressemblances et ses oppositions de nature avec Rousseau, parler un peu de nous et de nos tentatives poétiques dans la même voie ; en un mot rentrer en France.
La fable poétique, que M. […] Mais il y a autre chose que la fable poétique ainsi considérée dans sa richesse dernière, et que la fable philosophique ou didactique dans sa stricte justesse : il y a la fable enfantine, toute primitive, qui n’est pas exacte et sèche dans son ingénieux comme l’une, et qui n’est pas vivante et amusante comme l’autre : c’est la fable naïve, spirituelle encore, mais prolixe, mais languissante et souvent balbutiante, du Moyen Âge, le genre avant l’art et avant le goût. […] Les unes, lourdes, doctes, sentencieuses, vont, lentement et d’un pas régulier, se ranger au bout de la morale d’Aristote, pour y reposer sous la garde d’Ésope. — Les autres, enfantines, naïves et traînantes, bégayent et babillent d’un ton monotone dans les conteurs inconnus du Moyen Âge. — Les autres enfin, légères, ailées, poétiques, s’envolent, comme cet essaim d’abeilles qui s’arrêta sur la bouche de Platon endormi, et qu’un Grec aurait vu se poser sur les lèvres souriantes de La Fontaine.
Aujourd’hui c’est une seconde édition plus complète qui se publie et qui, se joignant au Journal et aux Lettres de Mme Eugènie de Guérin, sœur aînée du poète et morte elle-même peu de temps après lui, vient montrer quel couple poétique distingué c’était que ce frère et cette sœur : — lui, le noble jeune homme « d’une nature si élevée, rare et exquise, d’un idéal si beau qu’il ne hantait rien que par la poésie » ; — elle la noble fille au cœur pur ; à l’imagination délicate et charmante, à la croyance vaillante et ferme ; toute dévouée à ce frère qu’elle adorait, qu’elle admirait : et que, sans le savoir ; elle surpassait peut-être ; qu’elle craignait sans cesse devoir s’égarer aux idées et aux fausses lumières du monde ; qu’elle fût heureuse de ramener au bercail dans les heures dernières ; qu’elle passa plusieurs années à pleurer, à vouloir rejoindre, et dont elle aurait aimé cependant, avant de partir, à dresser elle-même de ses mains le terrestre monument. […] Une grande préoccupation était au cœur de Mme de Guérin : c’était, en même temps qu’elle recueillerait les restes poétiques de son frère, de donner quelques explications sur l’état moral de son âme, et de le revendiquer pour cette foi chrétienne et catholique dans laquelle il avait été nourri, dans laquelle il était rentré et il était mort. […] Elle est le modèle et comme le type idéal, dans l’ordre poétique, des sœurs aînées, admiratrices, inquiètes vigilantes, prêtes à se sacrifier pour le salut ou la gloire d’un frère chéri.
En poétique comme en politique, peuple brillant, aimable et fragile, si engoué, si vite dégoûté, j’ai toujours des doutes, et je ne sais jamais, avec nous, si ce qui est acquis est acquis. […] Né à Versailles, dont il est resté le poète chéri, où il a vécu tant d’années et où il est mort69, fils d’un père savoisien et patriarcal, de qui il a prétendu tenir toute sa poétique, bien différente, dit-il, de celle des Marmontel et des La Harpe, et d’une mère, bonne femme humble et antique ; d’abord secrétaire de maréchaux et de généraux, il fit la guerre et la vit de près, sans en tirer grand profit pour son observation de poète : « Ducis a fait la guerre de Sept-Ans avec nous, dit le prince de Ligne. […] Ducis faisait une pièce comme il fait une scène, il serait notre premier tragique70. » Et dans ses moments de plus grande franchise La Harpe ajoutait encore : « C’est bien heureux que cet homme n’ait pas le sens commun, il nous écraserait tous. » Je voudrais insister sur les beautés de ces lettres de Ducis, dont la collection ferait un trésor moral et poétique ; on y joindrait les lettres de Thomas fort belles, fort douces et bien moins tendues de ton qu’on ne le suppose.
Cette barbarie, cette demi-civilisation saxonne, croisée d’habileté et de finesse normande, le tout enfermé, tassé dans son île, travaillé, trituré, pétri et mûri durant des siècles, selon ce que l’auteur nous a si bien fait voir, se retrouve, dans la conclusion, à l’état de la plus forte, de la plus solide, de la plus sensée, de la mieux tenue, de la mieux pondérée, de la plus positive et de la plus poétique des nations libres. […] Robert Burtonr auteur de l’Anatomie de la Mélancolie, Thomas Browne, un érudit non moins bizarre, chercheur encyclopédique et poétique, nous sont définis de manière à ne plus être oubliés. […] Le plus beau et le plus compliqué génie poétique de l’Angleterre, Milton, est apprécié et développé par M.