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2091. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Son originalité, c’est précisément de n’avoir point été absorbé par ces soins de nature si accablante, et d’avoir conservé toute une part considérable de lui-même, de son temps, de ses veilles, pour l’amitié, pour les consultations détaillées de ses amis les poètes d’alors, pour leurs confidences et leurs anxiétés d’auteur auxquelles il restait le plus ouvert et le plus attentif des hommes. […] Quel bon poète comique on ferait de Picard et d’Andrieux ! […] Daru pour qui il avait la plus grande estime, différait de lui par plus d’un point essentiel : il était plus réellement poète, et il se montrait tel dans ses vers trop rares, surtout dans sa conversation pleine de feu et dans toute sa personne : il avait de l’imagination en causant, et de la paresse dans le cabinet.

2092. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

En vérité, grand homme, vous avez besoin de toute votre tête en conduisant les leurs, et je vous compare à Jupiter pendant la guerre de Troie… Le groupe des quatre grands poètes du xviie  siècle ne serait donc pas complet sans Chapelle, bien qu’il n’y ait eu que le moins beau rôle ; il est immortel grâce à eux ; tout aviné qu’il est et chancelant, il se voit, bon gré mal gré, reconduit à la postérité d’où il s’écarte, donnant un bras à Molière, l’autre à Despréaux. […] Mais la jolie scène qui l’est pour nous encore, et où le meilleur du sel est rassemblé, c’est la scène des précieuses de Montpellier ; elle est encadrée assez dramatiquement dans l’histoire du poète d’Assoucy, que je ne fais qu’indiquer ; le milieu se peut citer sans manquer au goût : Dans cette même chambre, disent les voyageurs, nous trouvâmes grand nombre de dames qu’on nous dit être les plus polies, les plus qualifiées et les plus spirituelles de la ville, quoique pourtant elles ne fussent ni trop belles ni trop bien mises. […] Il y a pourtant dans ce morceau de Bertin des endroits qui décèlent le poète :         Et peut-être par intervalle Un vers pur et facile étincelle en mes jeux.

2093. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Son caractère est sûr, et il a plus le ton de la conversation que le poète, qui, si vous y avez bien pris garde, dogmatise toujours. […] La margrave de Bareith, qui avait vu les choses d’un peu plus loin, resta, même dans le premier moment de l’éclat, plus indulgente au poète : il continuait de lui écrire, et au plus fort de l’orage il eut soin de se la concilier : Les lettres qu’il a écrites à ses amis ici (à Bareith), dit-elle à son frère, lettres qui sont écrites sans défiance et qu’on ne m’a montrées qu’après de fortes instances, sont fort respectueuses sur votre sujet. […] Dans un voyage que la margrave fait pour sa santé en Italie, elle lui cueille à Naples une branche du laurier de Virgile, et la lui envoie comme un don offert par l’ombre du poète au héros rival d’Alexandre.

2094. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Ainsi, dit le poëte, au temps des Césars, une jeune chrétienne était amenée dans le cirque ; ses yeux, mouillés de pleurs, levés vers le ciel, y cherchaient un appui, ses mains essayaient de dérober ses charmes aux regards des spectateurs ! […] On aurait ainsi, à leur moment de délire et d’abandon, le signalement des générations si nombreuses que de loin l’on confond, et à qui l’on ne peut plus que dire avec le poète : Passez, passez, Ombres légères, Allez où sont allés vos pères Dormir auprès de vos aïeux… On saisirait en quelques traits leur physionomie distincte. On ne commencerait pas avant Henri IV, laissant derrière soi les Valois avec leurs goûts douteux et leurs caprices bizarres ; mais, dès Louis XIII, on aurait une de ces scènes d’intérieur ou les jeunes seigneurs et gentilshommes du temps, les Montmorency, les Liancourt, en compagnie du poëte Théophile, célébraient la fête de la jeunesse et celle, dit-on, de la Nature.

2095. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Cervantes, dans le même temps où sa prose enlevait tous les suffrages, ne cessait d’aspirer moins heureusement à la palme du poëte qu’on lui contestait. […] Mais cette aimable vierge ne veut pas être maniée, ni traînée dans les rues, ni affichée dans les carrefours, ni publiée aux quatre coins des palais… Il ne faut la vendre en aucune façon… Elle ne doit jamais tomber aux mains des baladins ou du vulgaire ignorant ; et quiconque ne sait rien, fût-il seigneur et prince, doit être mis au rang du vulgaire… La conclusion de mon discours, seigneur hidalgo, c’est que vous laissiez cheminer votre fils par où l’entraîne son étoile… Grondez-le, s’il fait des satires qui nuisent à la réputation d’autrui, punissez-le et mettez son ouvrage en pièces ; mais s’il fait des discours à la manière d’Horace, où il gourmande les vices en général, avec autant d’élégance que l’a fait son devancier, louez-le alors… Si le poëte est chaste dans ses mœurs, il le sera aussi dans ses vers. […] Un célèbre poëte anglais du temps, Rowe, qui avait un pied dans la politique et qui eût désiré un poste important, reçut un jour de lord Oxford le conseil de se mettre à étudier la langue espagnole.

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