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363. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIIe entretien. Fior d’Aliza » pp. 177-256

Ce poème avait allumé l’imagination de son temps à proportion du plus ou moins d’élément combustible que ces imaginations portaient en elles-mêmes. […] Je supposai que lord Byron vivait encore et que le génie, qui lui avait inspiré les quatre premiers chants de son poème, inspirait encore à son génie le récit de sa propre mort. […] J’y composai, après la mort de lord Byron, le cinquième chant du poème de Childe Harold. Dans ce dernier poème, je supposais que le poète anglais, en partant pour aller combattre et mourir en Grèce, adressait une invective terrible à l’Italie pour lui reprocher sa mollesse, son sommeil, sa voluptueuse servitude. […] Ce poème fit grand bruit : ce bruit alla jusqu’à Florence.

364. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Aux concerts appartient la symphonie, le poème lyrique ; telles, ces œuvres entendues récemment : Saugefleurie, si charmante, de d’Indy, Espana, de Chabrier, les grandes Rhapsodies, de Lalo, les Argonautes, d’Augusta Holmès, exécutés au Conservatoire ; aussi, les poèmes symphoniques de notre maître César Franck que nul, pourtant, ne joue. […] Il faut donc, comme Wagner le demande, que le poème, la musique et le décor se complètent l’un l’autre, que l’un soit conçu pour l’autre et qu’ils constituent, en leur trinité, une œuvre une et parfaite. […] Ses poèmes sont d’une gravité naturelle et d’une étonnante concentration symbolique. […] Ils entremêlent leurs poèmes d’intermèdes oiseux ; ils enguirlandent leur drame de tant de cavatines, de romances et de chœurs sans raison qu’ils finissent par l’étouffer. […] Quant au roman en prose de Luc du Guast, quoiqu’il ait bien son importance, il ne semble pas en avoir autant que les poèmes.

365. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIIIe entretien. Poésie sacrée. David, berger et roi » pp. 225-279

Nous confessons que la vie du prophète berger et du poète roi dans la Bible est par elle-même un poème mille fois plus riche en aventures, en pittoresque, en intérêt, en pathétique, en drame, que l’Iliade. […] Aucun poème épique ne présente une plus touchante contradiction entre l’ambition et le cœur dans la destinée de deux adolescents qui s’aiment, pendant que leur destinée s’abhorre ! […] « Lorsqu’elle aperçut David, dit le poème, elle descendit de son âne, s’inclina, agenouillée sur la pierre du chemin, et, adorant le jeune chef, elle lui dit : “Remettez à Nabal son iniquité et sa démence, et, s’il s’élève un jour un homme qui vous persécute et qui recherche votre vie, votre âme sera préservée parmi les âmes des vivants, et l’âme de vos ennemis sera agitée comme la pierre tournoyante lancée en l’air par la fronde ! […] Nous le demandons à Homère, à Virgile, à Dante, à Milton, au Tasse, y eut-il jamais une vie d’homme qui fut aussi naturellement un poème épique ? […] Disons-le d’un mot : ce n’est pas seulement parce que le christianisme, héritier du judaïsme, s’est emparé de ces poèmes lyriques de David comme il s’est emparé des vases et des parfums du temple de Salomon, et qu’il en a fait le manuel de nos cérémonies, de nos piétés ou de nos larmes ; non, c’est que Pindare, Anacréon, Horace ne sont que des lyres, et que David est une âme.

366. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Ces deux éléments, au reste, suffisent pour faire éclater le cadre étroit du poème dramatique. […] L’un des éléments fait obstacle à l’autre, si le poète n’intervient sans cesse pour dégager le sens du spectacle : et l’on a ainsi un poème épico-lyrique plutôt que dramatique. […] Hugo, les espèces diverses se caractérisent : Marie Tudor ou Lucrèce Borgia sont des mélodrames ; Hernani et Marion de Lorme ont des ossatures de tragédies ; et les Burgraves sont un poème dialogué de Légende des siècles. […] Le jeune premier du drame romantique vient tout droit de ses poèmes. […] Et si on les considère seulement comme des poèmes, on doit accorder qu’ils sont admirablement agencés pour ménager au poète les occasions de se donner carrière.

367. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Études sur Saint-Just, par M. Édouard Fleury. (2 vol. — Didier, 1851.) » pp. 334-358

Ce serait dans les loisirs forcés de cette réclusion qu’il aurait composé le poème héroï-comique d’Organt. Ce petit poème que j’avais depuis plus de vingt ans dans ma bibliothèque sans le lire, est tout simplement une imitation, un pastiche de La Pucelle de Voltaire. […] Il a raison ; l’âme de Saint-Just, toute violente et concentrée qu’elle pouvait être, n’était point sevrée lorsqu’il fit en 1789 ce misérable poème d’Organt, lorsqu’il publia en 1791 son incohérente brochure intitulée  : Esprit de la Révolution. […] Organt est donc un détestable poème, passe-temps d’un jeune désœuvré qui vient de lire La Pucelle. […] La seule conclusion que permette le poème d’Organt, et qui porte sur l’ensemble, c’est que l’âme de jeune homme, qui se complut à vingt-ans dans ces combinaisons et ces images, était dure, grossière, sensuelle, sans délicatesse.

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