Hors de l’Orient sacré, je ne sais si l’on trouverait un grand exemple de ce double idéal confondu sur un même front, et si, pour se figurer dans sa pleine majesté un roi poëte, il ne faudrait pas remonter au Roi-Prophète ou à son fils. […] Enfin, avec les écrivains français de cette époque, on est sans cesse exposé à les croire originaux, si on n’est pas tout plein des anciens ou des modernes d’au-delà des monts. […] La poésie du xvie siècle est pleine de ces vestiges d’une versification antérieure. […] Dans les dernières années de François Ier, l’influence de Marguerite, celle même de la duchesse d’Étampes, favorisaient à la cour une sorte de poésie semi-calviniste ; les courtisans chantaient les psaumes de Marot ; Diane de Poitiers, en arrivant à la pleine puissance, désira d’autres chansons, et le cardinal de Lorraine, bon catholique, fut de son avis.
Il y a été prononcé, en sens contraire, des discours pleins d’une haute raison ou d’un ardent patriotisme. […] On sait les craintes, les obstacles qu’on s’exagérait peut-être, les péripéties du débat, l’éclat de l’éloquence qui y fut déployée, la joie qui suivit le succès : il y eut un moment où l’on crut réellement (et dans cette supposition je me place en dehors du Sénat, et je me tiens avec le simple public), — où l’on crut tout de bon qu’on entrait à pleines voiles dans un second bassin politique, dans la seconde période toute libérale de l’Empire. […] Lecteurs, vous les jugez prospères d’après leur rédaction souvent pleine de vie et de talent : ils ont leur plaie au cœur, le déficit. […] Une des choses qui m’ont le plus affligé pendant la discussion de cette loi, c’est de voir combien elle plaçait la France dans un état d’infériorité vis-à-vis d’autres nations ; car toute nation qui ne jouit pas de la pleine liberté de la presse est inférieure virtuellement et censée mineure à cet égard, par comparaison à celles qu'en jouissent.
L’auteur des Cantilènes a bien voulu faire accueil à notre placet, dans une lettre pleine de verve, que le lecteur lira ci-après. […] Moréas : Je veux un amour plein de sanglots et de pleurs. […] C’est que toute manifestation d’art arrive fatalement à s’appauvrir, à s’épuiser ; alors, de copie en copie, d’imitation en imitation, ce qui fut plein de sève et de fraîcheur se dessèche et se recroqueville ; ce qui fut le neuf et le spontané devient le poncif et le lieu-commun. Ainsi le romantisme, après avoir sonné tous les tumultueux tocsins de la révolte, après avoir eu ses jours de gloire et de bataille, perdit de sa force et de sa grâce, abdiqua ses audaces héroïques, se fit rangé, sceptique et plein de bon sens ; dans l’honorable et mesquine tentative des Parnassiens, il espéra de fallacieux renouveaux, puis finalement, tel un monarque tombé en enfance, il se laissa déposer par le naturalisme auquel on ne peut accorder sérieusement qu’une valeur de protestation légitime, mais mal avisée, contre les fadeurs de quelques romanciers alors à la mode.
On y a été plus favorable à la liberté, qui est pleine de périls et d’égarements, qu’à la discipline, qui ajoute à la force réelle tout ce qu’elle ôte de forces capricieuses et factices. […] Pour écrire clairement en français, c’est-à-dire, pour arracher les idées de ce fonds obscur où nous les concevons, et les amener à la pleine lumière, que d’efforts et de travail ! […] Certains écrivains sont pleins d’images ; tout reluit, tout brille ; tout étincelle ; mettez tout cela au creuset pour quelques parcelles d’or, que de cendre ! […] On y préfère la pleine lumière à la pénombre, les couleurs nettes et tranchées aux nuances douteuses.
Parmi les auteurs de Mémoires, il faut noter les deux frères Du Bellay, famille d’excellents esprits, vivant dans les grandes affaires de la première moitié du siècle et, qui les racontent, l’un dans de simples Mémoires, à la façon des chroniqueurs ses devanciers155, l’autre dans des histoires un peu fastueusement taillées sur le patron de Tite-Live, avec une certaine ambition pédantesque qui dans ce temps-là n’était pas d’un mauvais exemple156 : le Loyal serviteur, un inconnu, peut-être un des secrétaires de Bayard dont il a raconté la vie dans une chronique pleine de grâce, de facilité et de naturel, où l’admiration, au lieu d’être banale, comme dans Froissart, est toujours sentie et justifiée ; petit ouvrage charmant, du même caractère que les écrits de Marguerite de Valois, un fruit de l’esprit français touché par le premier souffle de la Renaissance157. Viennent ensuite la nièce même de cette princesse, la seconde Marguerite de Valois fille de Henri II et femme de Henri IV, auteur de quelques pages de Mémoires que l’Académie française, par un jugement où il entrait peut-être de la galanterie, regardait comme le modèle de la prose au xvie siècle158 ; le cardinal d’Ossat, ambassadeur de Henri IV près la cour de Rome, esprit pénétrant, simple et droit, qui expose au roi son maître, d’un style abondant et ferme, toute sa négociation relative à certains projets politiques de Henri IV, et notamment à l’affaire de l’abjuration 159 ; Brantôme, dont la curiosité ne se renferme pas dans les choses de son temps et de son pays ; qui recueille çà et là dans les livres et dans les ouï-dire les matériaux de sa chronique scandaleuse ; du reste, dans ce goût peu honorable pour les immondices de l’histoire, plein de sens, de finesse et d’excellent style, et plus à blâmer peut-être pour avoir eu la plus malhonnête curiosité dans un siècle si curieux, celle des musées secrets, que pour avoir exploité de propos délibéré la corruption de son temps160 ; le maréchal de Montluc, dont Henri IV appelait les Mémoires la Bible des soldats, jugement qui peint le livre161. […] Henri Estienne, le plus illustre de cette famille, noble aussi par l’hérédité du savoir et du dévouement aux lettres, est plein de mouvement et d’enthousiasme dans ces ouvrages un peu confus, où il défend l’idiome français contre l’imitation italienne, et l’égale à la langue grecque mêlant toutes choses, la philologie et la polémique, la dissertation et les anecdotes contre les catholiques, sa passion de réformé et sa passion d’érudit. […] Les meilleurs écrivains de ce temps sont pleins de ces pointes ; outre l’exemple de l’Italie, c’était un des effets de cet amour déréglé de la pensée pour la pensée.