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488. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Il devient à la longue le plus grand des plaisirs et tient lieu de toutes les illusions qu’on a perdues. […] Mais il dut bientôt à la protection du duc de Choiseul de vivre plus rassuré, et alors il se livra avec une incroyable ardeur au plaisir de bâtir, de planter, de peupler ses environs, d’y établir des industries et des fabriques de montres, d’y introduire la joie, la santé et l’aisance. […] … je lui donnerai à souper, je le mettrai dans mon lit, je lui dirai : Voilà un bon souper ; ce lit est le meilleur de la maison ; faites-moi le plaisir d’accepter l’un et l’autre, et d’être heureux chez moi. » Ce trait, ajoute Grimm, m’a fait un sensible plaisir : il peint M. de Voltaire mieux qu’il ne l’a jamais été ; il fait en deux lignes l’histoire de toute sa vie.

489. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

N’ayant pas encore le plaisir de connaître personnellement M.  […] Taine prend plaisir à rassembler dans les analyses qui suivent, y passant en revue les différentes classes de la société du xviie  siècle telles qu’elles nous reviennent par le miroir du fabuliste. […] Eh bien, hier j’ai ressenti un vrai plaisir ; on suit l’âpre échine de la montagne sous la maigre couche de terre qu’elle bosselle de ses vertèbres ; le gazon pauvre et dru, battu du vent, brûlé du soleil, forme un tapis serré de fils tenaces ; les mousses demi séchées, les bruyères noueuses enfoncent leurs tiges résistantes entre les fentes du roc ; les sapins rabougris rampent en tordant leurs tiges horizontales. […] Le plaisir consiste à voir cette âme.

490. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Mais vous êtes ardent, bilieux, plus agité, plus superbe, plus inégal que la mer, et souverainement avide de plaisirs, de science et d’honneurs ; moi, je suis faible, inquiet, farouche, sans goût pour les biens communs, opiniâtre, singulier, et tout ce qu’il vous plaira. […] » Ici nous retrouvons quelques-unes des idées particulières et, si l’on veut, des préventions de Vauvenargues, un reste de gentilhomme, ou plutôt un commencement de grand homme ambitieux, qui aimerait mieux franchement être Richelieu que Raphaël, avoir des poètes pour le célébrer que d’être lui-même un poète ; qui aimerait mieux être Achille qu’Homère : « Quant aux livres d’agrément, ose-t-il dire, ils ne devraient point sortir d’une plume un peu orgueilleuse, quelque génie qu’ils demandent ou qu’ils prouvent. » Il ne permet tout au plus la poésie à un homme de condition et de ce qu’il appelle vertu, que « parce que ce génie suppose nécessairement une imagination très vive, ou, en d’autres termes, une extrême fécondité, qui met l’âme et la vie dans l’expression, et qui donne à nos paroles cette éloquence naturelle qui est peut-être le seul talent utile à tous les états, à toutes les affaires, et presque à tous les plaisirs ; le seul talent qui soit senti de tous les hommes en général, quoique avec différents degrés ; le talent, par conséquent, qu’on doit le plus cultiver, pour, plaire et pour réussir. » Ainsi la poésie, il ne l’avoue et ne la pardonne qu’à titre de cousine germaine de l’éloquence, et qu’autant qu’elle le ramène encore à une de ces grandes arènes qui lui plaisent, à l’antique Agora ou au Forum, ou à un congrès de Munster, en un mot à une action directe sur les hommes. […] Caton le censeur, s’il vivait, serait magister de village, ou recteur de quelque collège ; du moins serait-ce là sa place : Caton d’Utique, au contraire, serait un homme singulier, courageux, philosophe, simple, aimable parmi ses amis, et jouissant avec eux de la force de son âme et des vues de son esprit, mais César serait un ministre, un ambassadeur, un monarque, un capitaine illustre, un homme de plaisir, un orateur, un courtisan possédant mille vertus et une âme vraiment noble, dans une extrême ambition. […] L’on ne mesure bien, d’ailleurs, la force et l’étendue de l’esprit et du cœur humains que dans ces siècles fortunés ; la liberté découvre, jusque dans l’excès du crime, la vraie grandeur de notre âme ; là, la force de la nature brille au sein de la corruption ; là, paraît la vertu sans bornes, les plaisirs sans infamie, l’esprit sans affectation, la hauteur sans vanité, les vices sans bassesse et sans déguisement.

491. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

On a les noms de tous ces fils de famille que l’amour du plaisir et la passion de l’art associent dans une entreprise commune, assez brillante au début, mais tournant vite à la ruine. […] Toute la troupe de l’Illustre Théâtre, assemblée le 13 août au jeu de paume de la Croix-Noire au port Saint-Paul, s’engagea solidairement « envers honorable homme Léonard Aubry, » à le garantir et indemniser de la somme par lui avancée, « d’autant plus, est-il relaté dans l’acte, que ce qu’en a fait ledit sieur Aubry n’a été qu’à leur pure requête et pour leur faire plaisir, et pour tirer hors des prisons du Grand-Châtelet ledit Poquelin. […] C’est dans cet itinéraire qu’il faudrait le suivre à la piste, non plus par des légendes ou des anecdotes arrangées à plaisir et auxquelles M.  […] Les nouvelles indications dues à Daniel de Cosnac, futur archevêque et, pour lors, intendant des plaisirs du prince de Conti, les confessions du joyeux compagnon d’Assoucy, les moindres indices semés çà et là, rien n’est oublié ; mais surtout l’esprit des choses est ressaisi, et le Molière que M. 

492. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Quand le sort nous la refuse sans raison, il y a plus d’honneur quelquefois à mériter une place qu’à l’obtenir. » — « Je vois bien, seigneur Apollon », lui répondis-je, « qu’on ne prend pas garde que je n’ai point de manteau. » — Il répondit : « Quoi qu’il en soit, j’ai du plaisir à te voir ; la vertu est un manteau avec quoi l’indigence peut couvrir sa honte ; elle conserve sa liberté et se garantit de l’envie. » Je baissai la tête en recevant ce conseil ; je restai debout… » Il faut convenir qu’on ne peut être pauvre diable de meilleure grâce ni plus galamment. […] Ne voyez-vous pas, seigneur, que jamais l’utilité dont pourra être le bon sens de Don Quichotte n’approchera du plaisir qu’il donne avec ses incartades ?  […] monsieur, lui dit le ministre, je vous en fais mon compliment ; je vous envie le plaisir de lire Don Quichotte dans l’original. » Je ne sais comment le prit l’homme de lettres politique, mais le mot est piquant, et il mérite d’être joint à tant de témoignages de choix sur Cervantes. […] Quand Natoire et Coypel peignaient pour le château de Compiègne une suite de scènes de Don Quichotte, c’était dans le ton simplement riant, et leur pinceau spirituel ne pensait qu’au plaisir des yeux et à la grâce.

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