Sous ses auspices, elle débuta à l’Opéra-Comique dans une pièce de lui, dans le rôle de Lisbeth, de l’opéra du même nom, et y fit plaisir. […] Appelée à l’Odéon en 1813, elle y débuta le 27 mars dans le rôle de Claudine de la pièce de Pigault-Lebrun, Claudine de Florian. […] La pièce commence : il écoute d’abord avec la physionomie la plus épanouie comme pour narguer ses voisins : l’intérêt peu à peu s’engage ; l’émotion gagne ; mais, quand vient la scène où Eulalie épanche son âme brisée dans le sein de la comtesse, on ose à peine respirer ; on n’y tient plus, on entend dans la salle quelques soupirs oppressés, puis des sanglots : la figure du mauvais plaisant s’altère elle-même ; il retire ses mouchoirs, et finit par s’en servir discrètement pour essuyer de vraies larmes. […] Elle a exprimé dès ses premières pièces de vers64 l’impression de froissement pénible qu’elle en ressentait.
» — Certes, j’en vois : dans les Perses, dans Œdipe roi, dans Les Nuées, dans Sacountala, dans La Jeunesse du Cid, dans Polyeucte, dans Esther, dans Le Misanthrope, dans Macbeth, dans Ce qu’il vous plaira, dans Le Jeu de l’Amour, dans Le Mariage de Figaro, dans La Belle Hélène… Et parce que j’admire l’art dans ces pièces d’il y a trente siècles ou d’il y a trente ans et que je le cherche en vain dans celles d’aujourd’hui, je veux trouver le secret de cette esthétique spéciale et diverse, pour apprendre si sa formule, est, ou n’est plus, pour nous réalisable. […] Chaque semaine nous voyons éclore ces pièces dont la valeur commerciale ne saurait être expertisée à la répétition générale, et dont le succès fou ou le four noir dépend de la moyenne des digestions des spectateurs de la première. […] On ne conçoit pas des auteurs produisant et des acteurs interprétant une pièce sur une scène devant laquelle, au lieu d’un rideau, s’élèverait un mur. […] Les pièces étaient reçues par une sorte de comité national du goût public.
Combien les travaux sur les littératures orientales gagneraient si leurs auteurs étaient aussi spéciaux que les philologues qui ont créé pièce à pièce la science des littératures classiques ! […] C’est ainsi que des années entières d’études assidues se sont parfois résumées en quelques lignes ou quelques chiffres, et que le vaste ensemble des sciences de la nature s’est fait pièce à pièce et avec une admirable solidarité de la part de tous les travailleurs.
Nous ne lui demandons pas ce que nous devons penser d’un auteur ou d’un ouvrage ; qu’il nous mette seulement en main les pièces qui nous permettront de juger par nous-mêmes. » Le malheur est que cette parfaite indifférence est. impossible. […] Voici trois pièces de Corneille : Clitandre, le Cid et Attila. […] Molière disait28 : « Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire, et si une pièce qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. » Et Racine, à son tour, répétait en écho29 : « La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. » Il suit de là que toutes les œuvres qui ont plu, qui ont été qualifiées de belles, se recommandent par cela seul à l’attention de l’histoire. […] Quelles épaules pourraient en soutenir le fardeau, s’il lui fallait relire, par exemple, toutes les pièces qui ont été représentées au temps de Molière, tous les poèmes épiques mort-nés qui ont été composés au temps de Napoléon 1er ?
Il importe de savoir quels livres étrangers sont lus, admirés, discutés, traduits, étudiés dans les classes, quelles pièces venant des temps et des pays voisins ou lointains sont représentées devant un public pour lequel elles n’ont pas été composées. […] Qui pourrait démêler exactement ce qui revient à George Sand dans les conceptions maîtresses de plusieurs pièces d’Ibsen ? On n’approchera de la vérité en ces matières que lorsqu’une série de monographies auront suivi au dehors l’expansion de nos différentes écoles, les adaptations innombrables de nos pièces, les traductions de nos romans, les annexions de mots faites aux dépens de notre langue. […] De là, ces épidémies de pièces ou de romans, qui, à quelques mois de distance, traitent le même sujet avec des variantes insignifiantes.