Phrase par phrase, durement, amèrement, le roi est réfuté et accusé jusqu’au bout, sans que l’accusation fléchisse une seule minute, sans qu’on accorde à l’accusé la moindre bonne intention, la moindre excuse, la moindre apparence de justice, sans que l’accusateur s’écarte et se repose un instant dans des idées générales. […] Les sentiments et les besoins qui forment et règlent ses croyances construisent et colorent ses phrases. […] Les phrases sont immenses : il lui faut des périodes d’une page pour enfermer le cortége de tant de raisons enchaînées et de tant de métaphores accumulées autour de la pensée commandante. Dans ce grand enfantement, le cœur et l’imagination s’ébranlent : en raisonnant, Milton s’exalte, et la phrase part comme une catapulte, doublant la force de son élan par l’énormité de son poids. […] Nous n’avons plus ce souffle ; nous n’entendons que de petites phrases courtes ; nous ne savons pas maintenir notre attention sur un même point pendant toute une page.
Leurs phrases, encore compassées sous Balzac, se dégagent, s’allégent, s’élancent, courent, et sous Voltaire ont pris des ailes. […] N’y a-t-il rien dans leur cœur que des « billevesées » théologiques ou des phrases machinales ? […] Ils veulent qu’on cherche le sens de chaque mot, qu’on interprète le passage phrase à phrase, par lui-même, par ses alentours, par les passages semblables, par l’ensemble de la doctrine. […] Si celui-ci serre ses phrases et choisit ses épithètes, ce n’est point par amour du style, c’est pour mieux imprimer l’insulte. […] Encore une phrase, car véritablement cette clairvoyance politique touche au génie.
Charles Maurras, je lui demanderai de s’expliquer sur un malheureux membre de phrase de lui me concernant. […] Voici toujours ma phrase sur les jambes en question, extraite des Hommes d’aujourd’hui. […] Au lieu des choses archi-alambiquées trop familières au pédantisme, à la sécheresse en vain mouillée de mots et délayée dans des phrases dont usent « certains jeunes » — quels mots et quelles phrases et quels jeunes ! […] Par moments aussi, le ton s’élève, et, de la petite idylle toute parfumée de thé, de vin tiède et de fleur de pêcher, passe au tableau de guerre, à la scène pathétique, quelquefois à la pensée profonde, sans toutefois jamais enfreindre les règles que s’est imposées l’auteur, et qui sont la concision pour l’expression, la brièveté quant à la phrase et la discrétion dans les procédés mis en œuvre. […] Mais peu à peu, par degré, à mesure qu’il approche de la grande date : 89, l’auteur déride un peu sa phrase, d’abord sèche et rude comme du Tacite, et en arrive à une sorte de gaieté railleuse quand il parle de Louis XV et de Dubois, « cette Majesté et cette Éminence. » Vient ensuite l’éblouissement final de la délivrance : en quels termes est dépeinte cette auguste époque, il n’est pas besoin de le dire.
Sa phrase est enfantine de ferveur et de piété.
Et, dans ce travail qui voulait avant tout faire vivant d’après un ressouvenir encore chaud, dans ce travail jeté à la hâte sur le papier et qui n’a pas été toujours relu — vaillent que vaillent la syntaxe au petit bonheur, et le mot qui n’a pas de passeport — nous avons toujours préféré la phrase et l’expression qui émoussaient et académisaient le moins le vif de nos sensations, la fierté de nos idées.