/ 1026
730. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

Je constate seulement l’envahissement du métier dans l’Art, monstrueux phénomène qui, pour n’être pas d’aujourd’hui, a du moins aujourd’hui ceci de particulier qu’il ne s’avoue même plus, qu’il se déclare, s’affirme, s’affiche, légalement, naturellement ! […] Poëtes et penseurs, nous écoutons les vents de mystère qui sourdent du fond des phénomènes et nous allons à la lumière, à la vie, fût-ce au fond des ténèbres historiques, si elles recèlent plus de vie et de lumière que ce présent crépuscule qui semble mener la danse des morts. […] L’explication semble si peu proportionnée avec le phénomène que les contemporains de lord Byron ne purent la trouver et lui substituèrent des motifs romanesques dont la postérité a souri. […] Aujourd’hui on reste chez soi, on ne parle que de petits phénomènes naturels, on s’enferme, avec prédilection, dans les horizons connus. […] Ce dernier nom indique à la fois l’origine immédiate et la nature réelle de ce mouvement. — Il est déterminé par le courant scientifique, physiologique, et se limitera volontairement à l’explication des mystères de la vie par les lois qui régissent les phénomènes physiques.

731. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

J’ai cru du moins à la relativité des choses et à la succession des phénomènes. […] Un phénomène n’est jamais perçu absolument de la même façon par deux observateurs. […] Secoué sur son escabeau, les oreilles rompues par des hurlements inouïs, écartant d’une main le dard menaçant, épongeant de l’autre son front dégouttant de sueur, étourdi, effaré, écrasé, résigné, il « suivait le phénomène », selon l’heureuse expression du docteur. […] Nous apprîmes du docteur que les pythonisses traversent les âges avec une notable rapidité, ce qui explique le phénomène. […] Après cette première vision, cette reprise héroïque sur la mort, se déroulent les phénomènes ordinaires du spiritisme.

732. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

Dans le monde de l’art et de la philosophie, il y a aussi de ces phénomènes de double vue, pareils aux faits magnétiques, et qui s’allient souvent comme eux à un état maladif du système physique. […] Tout dans la nature est à la fois un esprit et un corps, une force cachée et un phénomène apparent, une figure et une pensée, c’est-à-dire un symbole. […] Le langage est distinct de la parole ; il est à la parole ce que les phénomènes sont à la substance, ce que la parole elle-même est à l’esprit qui le conçoit. […] Comment l’artiste doit-il voir, comment doit-il représenter les phénomènes pour les voir et les représenter autrement que la prose, pour en faire une poésie ? […] La nature est un symbole immense ; chacun de ses phénomènes, outre sa forme et sa vie propre, renferme une idée ; chaque objet visible a une signification morale.

733. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Et pendant ce temps-là les vieilles forces intellectuelles et morales qui se trouvaient en présence dans toute l’Europe au xviiie  siècle, catholicisme contre protestantisme, se sont retrouvées face à face et se partagent les esprits que la philosophie indépendante a comme laissé échapper ; et ce phénomène qui étonne quelques-uns, n’a rien qui puisse beaucoup surprendre, après l’avortement du nouveau « Pouvoir spirituel » rêvé par les chimériques tant raillés de 1840. […] Le tour d’esprit, le tour d’éloquence, l’éducation, les mœurs de famille, les caractères, les goûts artistiques, bien d’autres choses moins importantes, tout cela est donné par Tocqueville comme autant d’effets du gouvernement démocratique et comme phénomènes devant se reproduire, ou de peu s’en faudrait, partout où le gouvernement démocratique s’établira. […] C’est pour la défense nationale que les petites patries se sont, à regret, confondues dans les grandes agglomérations nationales ; par un phénomène pareil, c’est pour la défense nationale que les libertés locales, dans chaque pays, ont abdiqué entre les mains de la patrie commune. […] « En France, dit-il, l’administration forme dans l’État et en quelque sorte en dehors du souverain un corps particulier qui a ses habitudes spéciales, ses règles propres, ses agents qui n’appartiennent qu’à elle, de telle façon qu’elle peut pendant un certain temps présenter le phénomène d’un corps qui marche après que la tête s’en est séparée. » Rien de plus vrai et rien de plus considérable comme conséquence. […] Ce phénomène mental est assez fréquent chez les hommes très instruits.

734. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Tout cela est bien ingénieux, et ne vient pourtant pas de l’esprit ; ces gracieuses représentations jaillissent d’un cœur amoureux de la nature, ému à tous ses phénomènes d’un tressaillement sympathique, vivant dans le flot qui coule, dans la feuille qui tremble, dans le nuage qui rougit, mystiquement marié avec la nature, comme le fut toute âme à l’origine des choses. […] Ce n’est pas que je regarde comme un orage ce qui se passe dans l’âme du poète ; aucun phénomène violent, aucun bruit éclatant ne dénonce au-dehors l’agitation intérieure. […] De là seulement on peut tout voir, tout mesurer et tout lier ; à ce point de vue seulement, tout se répond et se continue ; la plus infaillible des logiques, celle de l’âme, assortit et proportionne les unes aux autres toutes les parties de ce vaste corps ; on ne cherche pas hors de soi, on trouve en soi le système du christianisme, qui semble devenu comme un phénomène et une forme de la vie. […] Qu’on nous accorde une chose encore : c’est que, dans l’appréciation et dans l’histoire des événements religieux, il faut au moins accepter l’élément religieux comme un fait, comme un phénomène de l’esprit humain, comme une partie de la nature humaine, aussi profonde pour le moins que toutes ses autres propriétés et toutes ses autres tendances ; plus profonde même que tout le reste ; car qu’est-ce que la religion sinon la recherche ou la connaissance d’un premier principe, non abstrait, comme celui dont se contente la philosophie, mais vivant, personnel, relatif à la fois à toutes les facultés de notre être, et dont la nécessité doit être plus universellement et plus vivement sentie que celle du principe abstrait ? […] On ne saurait donc leur pardonner, quand ils racontent un événement religieux, d’y chercher à toute force un dessous de cartes plus profond que le sentiment religieux lui-même, et de ne voir dans ce besoin religieux que la forme de quelque autre besoin, ou l’accident d’un phénomène plus important et plus réel.

/ 1026