/ 3136
847. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Certaines personnes se plaisent à relever les traits qui, dans notre littérature et notre philosophie, rappellent la décadence grecque et romaine, et en tirent cette conclusion, que l’esprit moderne, après avoir eu (disent-elles) son époque brillante au XVIIe siècle, déchoit et va s’éteignant peu à peu. […] On pouvait arriver à la vie la plus noble et la plus élevée, tout en étant pauvre et en travaillant de ses mains ; ou plutôt la moralité de la personne effaçait tellement sa profession, qu’on ne voyait d’abord que la personne, tandis que maintenant on voit d’abord la profession. […] Ne peut-on pas espérer que l’humanité reviendra un jour à cette belle et vraie conception de la vie, où l’esprit est tout, où personne ne se définit par son métier, où la profession manuelle ne serait qu’un accessoire auquel on songerait à peine, à peu près ce qu’était pour Spinoza le métier de polisseur de verres de lunettes, un hors-d’œuvre qu’on ferait par la partie infime de soi-même, sans y penser et sans que les autres y pensent davantage ? […] Le caractère sordide ou prétendu bas de certaines occupations pourrait aussi les désigner pour les personnes vouées aux travaux de l’esprit ; car ce caractère de bassesse devrait correspondre, ou à une paye supérieure, ou, ce qui revient au même, à une moindre durée des heures de travail.

848. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Si cette mère idolâtre s’occupait, par ses conversations et par les lettres qu’elle lui dictait, à lui façonner l’esprit au bon langage et à la politesse du monde, elle lui apprenait encore mieux à idolâtrer sa petite personne : Ma mère, dit-il, avait tant de faiblesse pour moi, qu’elle était continuellement à m’ajuster. […] Je le vois encore à Besançon, au début d’une cérémonie pontificale, dans toute sa splendeur d’ornements et presque d’atours, lançant au passage une œillade riante et coquette, parce qu’on lui avait dit que quelques personnes, arrivées de Paris la veille, y assistaient. […] Un jour, à l’Opéra, il se trouvait dans la loge du jeune Dauphin, fils de Louis XIV, quand M. de Montausier entra : « J’étais à la joie de mon cœur, dit-il ; Rabat-Joie arriva. » Le chancelier de L’Hôpital en personne, voyant en cet état son indigne descendant, n’aurait pas ressenti plus de mépris : Madame ou mademoiselle, car je ne sais comment vous appeler, lui dit M. de Montausier en le saluant ironiquement, J’avoue que vous êtes belle, mais, en vérité, n’avez-vous point de honte de porter un pareil habillement, et de faire la femme, puisque vous êtes assez heureux pour ne l’être pas ? […] Choisy se trouva même lésé par ce père et privé de certain beau présent qui aurait dû lui revenir : « Je ne sus tout cela bien au juste, dit-il, qu’après être arrivé en France ; mais, quand je me vis dans mon bon pays, je fus si aise que je ne me sentis aucune rancune contre personne. » Choisy revient plus d’une fois sur cette idée qu’il est sans rancune et qu’il n’a point d’ennemis : « Si je savais quelqu’un qui me voulût du mal, j’irais tout à l’heure lui faire tant d’honnêtetés, tant d’amitiés, qu’il deviendrait mon ami en dépit de lui. » On retrouve là encore cette nature officieuse, gentille et complaisante, et qui chercherait vainement en elle la force de haïr. […] J’en parle ici avec plaisir : j’ai passé mon enfance avec elle… Ici Choisy a vu et senti, il parle de source et n’a eu besoin de personne pour s’inspirer.

849. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Avec Mirabeau, au contraire, tout sort des proportions ordinaires ; sa personne entière est taillée sur un autre patron. […] C’est ainsi que naturellement, instinctivement, autant qu’il l’eût fait par politique, il était revêtu et comme investi en toute sa personne d’un certain appareil qui, au premier aspect, et dans un salon où le bon goût est d’éteindre ou d’adoucir toute chose, faisait un peu de détonation et de fracas. […] Le vaisseau de l’État est battu par la plus violente tempête, et il n’y a personne à la barre. » Ce mot : il n’y a personne à la barre, exprimait déjà la pensée de Mirabeau. […] L’existence de ces pièces était connue depuis longtemps, et le comte de La Marck, qui vivait depuis des années à Bruxelles sous le titre de prince d’Arenberg, en avait donné une communication plus ou moins complète à quelques personnes.

850. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — II. (Suite.) Janvier 1830-mars 1831. » pp. 105-127

Il y montre Napoléon, bien que vaincu, n’y paraissant jamais inférieur à lui-même : « On le vit avec cinquante mille hommes vouloir en enfermer cinq cent mille au cœur de la France, et y réussir presque en les environnant de son mouvement, en trouvant moyen d’être toujours en personne sur leur passage… » Les environnant de son mouvement, voilà de ces expressions heureuses et pittoresques comme Carrel en a quelquefois, trop rarement pourtant, eu égard à l’excellent tissu de son style. […] ) — Et encore : « Celui qui le 26 juillet, aux premiers coups de fusil tirés dans la rue Saint-Honoré, eût assuré que le peuple de Paris pouvait sentir, vouloir, soutenir jusqu’à la mort toutes ces choses, n’eût pas été cru ; on l’eût pris pour un fou, et peut-être il l’eût été, car personne ne pouvait avoir encore les données d’une pareille conviction. » (1er septembre 1830.) […] Quant à lui, qui reste en dehors du gouvernement, il n’a qu’à poursuivre dans sa voie : Le National n’a point de profession de foi à faire ; son avenir est tracé par la conduite qu’il a tenue jusqu’à ce jour ; il est fier d’avoir si manifestement désiré ce qui existe, avant que personne même osât y songer. […] Car il était, ne l’oublions jamais, l’homme de son humeur : cela perce déjà dans les dernières lignes de cet article tout pacifique et d’expectative ; il prévient les questionneurs et adversaires du National qu’il ne s’agit plus désormais, dans ces critiques fort déplacées dont il est l’objet, d’attaques collectives : « Ces attaques, dit-il en terminant, ne s’adresseraient désormais qu’à une seule personne, celle qui s’est fait connaître hier pour directeur unique du National, et l’on doit s’attendre qu’elles seraient relevées. » Voilà une pointe d’épée qui s’aperçoit : et combien de fois déjà ne s’était-elle pas montrée à la fin des articles de Carrel ! […] L’expression a du vrai ; à le lire, c’est comme le Junius anglais, quelque chose d’ardent et d’adroit dans la colère, plutôt violent que vif, plus vigoureux que coloré ; le nerf domine ; le fer, une fois entré dans la plaie, s’y tourne et retourne, et ne s’en retire plus ; mais ce qui donne un intérêt tout différent et bien français au belliqueux champion, c’est que ce n’est pas, comme en Angleterre, un inconnu mystérieux qui attaque sous le masque ; ici, Ajax combat la visière levée et en face du ciel ; il se dessine et se découvre à chaque instant ; il brave les coups, et cette élégance virile que sa plume ne rencontre pas toujours, il l’a toutes les fois que sa propre personne est en scène, et elle l’est souvent.

851. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

M. de Vaudreuil, l’un des patrons de l’auteur, obtint de faire jouer chez lui la pièce à Gennevilliers (26 septembre 1783), par les Comédiens-Français, devant trois cents personnes. […] Trois cents personnes, dit La Harpe, ont dîné à la Comédie dans les loges des acteurs pour être plus sûres d’avoir des places, et, à l’ouverture des bureaux, la presse a été si grande, que trois personnes ont été étouffées. […] Trois cents personnes, dit La Harpe, ont dîné à la Comédie dans les loges des acteurs pour être plus sûres d’avoir des places, et, à l’ouverture des bureaux, la presse a été si grande, que trois personnes ont été étouffées.

/ 3136