L’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres a couronné deux de ses Ouvrages, dont l’un est l’Histoire philosophique & politique des Loix de Licurgue : l’autre roule sur cette question : Quel fut l’état des personnes en France sous les deux premieres Races, &c. ? […] M. l’Abbé de Gourcy a publié depuis un Essai sur le bonheur, qui mérite d’être lu par les personnes qui désirent de tirer le plus grand parti possible des avantages & des inconvéniens attachés à la vie de ce bas monde.
La Rochefoucauld a dit : « Nos actions sont comme les bouts-rimés, que chacun fait rapporter à ce qui lui plaît. » Ce ne sont pas seulement les actions de chaque jour et les démarches des personnes de la société que chacun interprète à son gré ; ce sont les actions du passé et les noms qui les représentent. […] Parmi les remarques un peu longuement déduites, mais justes, au nombre de treize, qui précèdent les Mémoires de Sully, et dans lesquelles il est donné quelques conseils aux historiens futurs, il est une prescription qui est particulièrement vraie, et qu’il convient de nous appliquer à nous tous en l’étudiant, à savoir : Que les historiens ne témoignent point de vouloir faire des recherches trop exactes des défauts et des erreurs d’autrui, tellement secrets et cachés qu’ils ne sont connus d’aucune personne qui en ait reçu dommage ou offense, et desquels nulles voix publiques ne se sont jamais plaintes, ni que l’on ait su que les peuples en général ni en particulier en aient non plus reçu dommage visible et notoire. […] On peut regretter en ce style incommode, dans lequel on s’adresse continuellement à lui à la seconde personne, de ne pas trouver l’agrément ni la rapidité des mémoires ordinaires, et de n’y reconnaître qu’à peine le trait d’expression et la marque originale du narrateur ou de l’inspirateur même : mais n’est-ce pas aussi un premier caractère d’originalité, et plus significatif que tous les autres, qu’une telle forme ainsi adoptée et imposée durant une narration si longue ; et n’y voit-on pas déjà le ton et l’étiquette rigoureuse qui régnait dans ce château de Sully quand on s’adressait au maître ? […] Il devient épris de la fille du président de Saint-Mesmin, qui était une personne à la mode en ce temps-là, et, ce semble, un peu coquette. […] Il a entendu parler d’une autre personne plus convenable tant pour sa beauté modeste que pour sa vertu et haute extraction ; c’est Anne de Courtenay, fille de M. de Bontin : c’est cette dernière que la raison désigne à Rosny, et, même en telle matière qui a pour fin le mariage, il se rappelle cette maxime : « que celui qui veut acquérir de la gloire et de l’honneur, doit tâcher à dominer ses plaisirs et ne souffrir jamais qu’ils le dominent ».
Avec ces défauts que j’indique à peine et avec ces limites en divers sens, Maupertuis, de son vivant et quand il était là pour payer de sa personne, n’était pas moins un homme très distingué, très propre à plus d’un emploi, et lorsque Frédéric eut conçu le projet de régénérer son Académie de Berlin, il fut l’un des premiers à qui il s’adressa, le seul même qu’il réussit complètement à s’acquérir. […] Au reste, il me semble de voir des aveugles qui errent dans l’obscurité ; quelques-uns s’entre-heurtent, d’autres, en voulant s’éviter, se frappent et se font choir ; personne ne devient plus sage, et tous rient du malheur de leurs concitoyens. […] » Ce retour, à peine indiqué, de Frédéric sur son père si cruel pour lui, cette allusion, s’il l’avait faite réellement, serait touchante ; mais, dans le vrai, Frédéric était trop roi pour laisser voir à personne qu’il se plaignait de son père, et surtout pour l’écrire. […] Et encore dans une lettre du 15 septembre, en lui répétant de ne point s’affecter, et en lui représentant que, lui roi, il n’est pas plus épargné qu’un autre par Voltaire : C’est le sort des personnes publiques de servir de plastron à la calomnie ; c’est contre elles que la malignité des hommes exerce ses traits. […] Vous devez savoir mieux que personne que je ne sais point venger les offenses que l’on me fait.
C’est encore à un écrivain excellent qu’on a affaire en sa personne, mais on le sent, à un écrivain d’une tout autre espèce, d’une tout autre trempe, d’une tout autre origine et famille. […] Ce héros, messieurs, eut alors la bonté de me dire la pensée qu’il avait de vous rendre arbitres de la capacité, du mérite et des récompenses de tous ces illustres professeurs qu’il appelait, et de vous faire directeurs de ce riche et pompeux prytanée des belles-lettres, dans lequel, par un sentiment digne de l’immortalité, dont il était si amoureux, il voulait placer l’Académie française le plus honorablement du monde, et donner un honnête et doux repos à toutes les personnes de ce genre, qui l’auraient mérité par leurs travaux. […] Cette originalité, qui est la sienne, personne ne la lui ôtera. […] La Monnoye était un homme de lettres spirituel, instruit, médiocre pour le talent (excepté quand il fredonnait dans le patois bourguignon), mais universellement goûté et estimé de sa personne, un lauréat blanchi dans les concours ; toutes ces heureuses médiocrités se complétèrent et firent de lui un candidat sans pareil ; il fut reçu à l’unanimité, et Louis XIV, qu’il avait célébré tant de fois, en témoigna une satisfaction toute particulière. […] Je vous prie de ne communiquer à personne ces particularités, qu’on s’imaginerait peut-être que je fais vanité de publier… Telle est la version authentique.
Sa mère était une personne supérieure que Sismondi plus tard n’hésitera pas à comparer à Mme de Staël, non pour le génie et le brillant de l’esprit ; Mme de Staël l’emportait par ces côtés : « Mais ma mère, dira-t-il dans la conviction et l’orgueil de sa tendresse, ne le cède en rien ni pour la délicatesse, ni pour la sensibilité, ni pour l’imagination ; elle l’emporte de beaucoup pour la justesse et pour une sûreté de principes, pour une pureté d’âme qui a un charme infini dans un âge avancé. » Cette mère, femme d’un haut mérite et d’un grand sens, dominera toujours son fils, influera sur lui par ses conseils, le dirigera même à l’entrée de la carrière littéraire et, le détournant tant qu’elle le pourra des discussions théoriques pour lesquelles il avait du goût, le poussera vers les régions plus sûres et plus abritées de l’histoire7. […] Sismondi, sans copier personne, n’obéissant qu’à son instinct et à sa nature candide, ouverte aux impressions d’alentour, a trouvé ainsi et a fait entrer, dans ce premier ouvrage d’apparence tout agricole, ce qu’on n’irait certes pas y chercher. […] Mais il fut très-surpris d’entendre Mme de Staël en personne lui tenir un tout autre langage que l’auteur du roman. […] Ses amis, quelques personnes chères à son cœur, et qui seules peuvent l’entendre tout entier, y sont irrévocablement fixées. […] C’est une manière de se fuir eux-mêmes que de fuir ce qui leur ressemble ; mais cette manière ne peut leur réussir longtemps. » Je continuerai cette suite d’extraits, en les dirigeant le plus que je pourrai, la prochaine fois, du côté de la France et des personnes ou des idées qui nous touchent.