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381. (1896) Essai sur le naturisme pp. 13-150

Car les personnages de la Fable et les héros des romans nous sont plus familiers que les êtres les plus chers, les plus indispensables à notre existence. […] Nous ne sympathisons pas avec ces personnages cérébraux. […] Ce sont plutôt des réalisations de cauchemars que de véritables personnages d’invention. […] Il laisse ses personnages agir selon ces lois. […] Il n’y a pas, je pense, dans les lettres françaises d’aussi fondamentale antithèse que ces deux personnages littéraires.

382. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

L’imagination recule devant les prodigieuses difficultés qu’un grand acteur ou une grande actrice ont à vaincre pour se transfigurer ainsi à volonté dans le personnage qu’ils sont chargés de revêtir, depuis la physionomie jusqu’à la passion et à l’accent. […] La seconde de ces causes, c’est que le poète tragique est privé, par la nature même de son sujet et par le dialogue pressé qu’il établit entre ses personnages, de toute la partie descriptive de la poésie, c’est-à-dire d’un des plus grands charmes du poème. […] C’est que le poète tragique est conduit à ne peindre que des péripéties ou des convulsions suprêmes de l’âme de ses personnages, et que tous les sentiments doux, habituels, modérés du cœur humain, sont retranchés forcément de sa poésie. […] Il était bien sûr d’avance qu’elle serait suivant l’ambition toute royale de cette favorite, car la favorite ne pouvait manquer de se reconnaître, comme le public la reconnaîtrait, dans le personnage d’Esther. […] Racine, il en fut si content qu’il demanda en grâce à Mme de Maintenon de m’ordonner de faire un personnage, ce qu’elle fit.

383. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Le président Jeannin, dès son arrivée à La Haye, vit juste et exerça une action, qui est très sensible quand on lit la suite des dépêches, sur les principaux personnages de qui la solution dépendait, sur Henri IV tout le premier, sur Barneveld, sur le prince Maurice lui-même. […] L’un et l’autre se retrouve en ce personnage, auquel le roi devrait désirer avoir beaucoup qui lui ressemblassent en son Conseil d’État. […] La fille unique du président, sur laquelle il reporta toutes ses tendresses, avait épousé M. de Castille, qui avait commencé par le commerce, et qui devint un personnage, ambassadeur, intendant des finances, homme de faste et de grand luxe. […] Notre passé est riche pourtant, plus riche encore que nous ne le croyons ; il suffit d’y pénétrer par une étude un peu courageuse pour en dégager maint personnage antique et d’autant plus frappant de nouveauté.

384. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Journal du marquis de Dangeau — I » pp. 1-17

Dangeau est un nom depuis longtemps en circulation, un de ces personnages à qui on ne demande plus : Qui êtes-vous ? […] Il dit : Mon ordre, mon cordon bleu ; il l’étale ou il le cache par ostentation ; un Pamphile, en un mot, veut être grand ; il croit l’être, il ne l’est pas, il est d’après un grand. » Puis vient Saint-Simon, qui profite beaucoup du journal de Dangeau pour établir ses mémoires, pour en fixer bien des faits et en rajuster des souvenirs, mais qui se moque constamment et de l’œuvre et du personnage ; il achève de nous peindre Dangeau en charge, en caricature, tant il donne de relief à ses ridicules et tant il efface ses bonnes qualités : C’était le meilleur homme du monde, dit-il, mais à qui la tête avait tourné d’être seigneur ; cela l’avait chamarré de ridicules, et Mme de Montespan avait fort plaisamment, mais très véritablement dit de lui qu’on ne pouvait s’empêcher de l’aimer ni de s’en moquer. […] Il y revient en toute occasion, et toujours avec jubilation et délices ; il l’appelle en un endroit une « espèce de personnage en détrempe » : « C’était un grand homme, fort bien fait, devenu gros avec l’âge, ayant toujours le visage agréable, mais qui promettait ce qu’il tenait, une fadeur à faire vomir. » Lui reconnaissant des qualités mondaines, des manières, de la douceur, de la probité même et de l’honneur, il cite de nouveau et commente ce mot de Mme de Montespan sur lui, qu’on ne pouvait s’empêcher de l’aimer ni de s’en moquer : Saint-Simon aimait donc assez Dangeau, mais quelle manière d’aimer ! […] Ils n’ont pas eu de peine à montrer que Saint-Simon exagère, en les résumant, les défauts du personnage ; nos jeunes auteurs vont trop loin toutefois quand ils font de Saint-Simon un ennemi de Dangeau : on n’est pas ennemi de ceux dont on voit les ridicules, et le seul tort de Saint-Simon est de trop voir et d’être doué par la nature d’un organe qui est comme un verre grossissant, et d’une parole de feu irrésistible : de là tant de portraits ressemblants, outrés, vrais à les bien entendre, et en tout cas ineffaçables.

385. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Mais c’est surtout dans le personnage plein de verve du chevalier Carnioli que M.  […] Feuillet s’est surpassé ; il s’est vraiment piqué d’honneur dans la peinture de ce personnage hostile, de cet avocat du diable, de cet adversaire à mort de toutes ses propres théories : on peut dire que, par la bouche de Carnioli, il semble s’être insurgé contre lui-même. […] L’ancien Raoul, le mystérieux personnage d’il y a dix ans, le dessinateur de la Roche-Fée, que Sibylle n’avait jamais oublié, qu’elle retrouve après des voyages, noble, riche, maître de sa fortune, et qu’elle se met sérieusement à aimer, est fort lié avec un savant, Gandrax, au nom revêche, et dont M.  […] Pourvue d’un triste mari, et n’ayant pu enlever Raoul à Sibylle, elle a pris pour amant Gandrax, le savant, l’homme de mérite, athée, il est vrai (à propos, je ne croyais pas que ce personnage d’athée proprement dit existât encore sous cette forme, à la Wolmar), — mais, à part cela, le caractère le plus droit, le plus probe, une personnalité marquante et originale, tout à fait distinguée.

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