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513. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

. — Cléon est encore à cet égard un bien plus brillant spectacle ; toutes les prétentions à la fois sont entrées dans son âme ; il est laid, il se croit aimé, son livre tombe, c’est par une cabale qui l’honore, on l’oublie, il pense qu’on le persécute ; il n’attend pas que vous l’ayez loué, il vous dit ce que vous devez penser ; il vous parle de lui sans que vous l’interrogiez, il ne vous écoute pas si vous lui répondez, il aime mieux s’entendre, car vous ne pouvez jamais égaler ce qu’il va dire de lui-même. […] Les femmes animent ainsi contre elles les passions de ceux qui ne voulaient penser qu’à les aimer. […] Enfin, avant d’entrer dans cette carrière de gloire, soit que le trône des Césars, ou les couronnes du génie littéraire en soient le but, les femmes doivent penser que, pour la gloire même, il faut renoncer au bonheur, et au repos de la destinée de leur sexe ; et qu’il est dans cette carrière bien peu de sorts qui puissent valoir la plus obscure vie d’une femme aimée et d’une mère heureuse.

514. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

Allez au contraire hardiment : pensez-y aussi longtemps qu’il faudra, mais après déclarez-vous : ayez une manière de voir, une seule, et écartez tout ce qui ne s’y conforme pas. […] Un écrit qui vide l’esprit de son auteur est, à l’ordinaire, étriqué et stérile : il n’est pas suggestif, il ne fait pas penser. […] Si l’on ne pense que ce qu’on écrit, on est sec ; si on écrit tout ce qu’on pense, on est prolixe.

515. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Il a la franchisé du peuple, celle de l’Auvergnat de Labiche plutôt que de l’Alceste de Molière : il jette au nez des gens leurs vérités ; il les pense, elles jaillissent : il faut qu’il parle. […] « Ne pensez-vous pas qu’on peut être si heureusement né qu’on trouve un grand plaisir à faire le bien ? — Je le pense […] Il y a mis beaucoup du sien, sans doute, et il a prêté de ses idées au personnage ; je ne pense pas que le vrai Rameau fut un bohème aussi profond.

516. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

Il ne s’agit pas seulement de reconnaître ce qui a été vraiment pensé, senti, exprimé par Montaigne et Pascal, par Racine et Victor Hugo ; mais dans ce qui va au-delà de ce qu’on peut raisonnablement appeler leur sens, au-delà des plus fines suggestions qu’on a droit de rapporter encore à leur volonté plus ou moins consciente, dans ce qui n’est plus vraiment que moi, lecteur, réagissant à une lecture comme je réagis à la vie, il ne faut tout de même pas confondre ce qui est le prolongement, l’effet direct, normal, et comme attendu de la vertu du livre, avec ce qui ne saurait s’y rattacher par aucun rapport et ne sert à en comprendre, à en éclairer aucun caractère. […] Corneille écrit quelque part : « Nos vers disent parfois plus qu’ils ne pensent dire. » Plus, et souvent autre chose. […] Dans l’exercice littéraire, cela conduirait à penser qu’il est vain de chercher un sens aux Essais ou aux Pensées, et qu’on ne peut que constater, sans le contester jamais, le sens que leur donne M.  […] Et il ne serait peut-être pas exagéré de penser que le sens de l’auteur est tout de même, un sens privilégie, auquel je puis donner une attention particulière.

517. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

La vraie liberté consiste à ne dépendre que de ses devoirs, à jouir des droits d’homme & de citoyen, & à rejetter avec courage les Loix capricieuses de ces esprits minutieux & despotiques, qui feroient à un citoyen l’outrage de penser que les Loix de l’honneur ne suffisent pas(a). […] Mais au sein de la retraite, on l’appelle dans le tourbillon du monde ; ceux qui se livrent aux plaisirs tumultueux veulent avoir le suffrage de la présence ; jettez-vous dans le tourbillon, frivoles Ecrivains, qui pour écrire n’avez pas besoin de penser, vous y perfectionnerez cet esprit léger tout fier d’idées sémillantes, il vous faut des éclairs, il vous faut un langage brillant qui puisse servir de voile à vos connoissances superficielles ; promenez-vous avec la folie, vous n’avez rien à gâter ; mais toi homme de génie qui as sçu méditer, poser des principes, affermir ta marche, & comme d’un tronc fertile, en suivre toutes les conséquences, toi qui vois en grand, garde-toi d’asservir tes mâles talens au goût des Sociétés ; elles corromproient ton éloquence, tes vues hardies & sublimes, ton héroïsme vertueux. […] La plupart des hommes ne pensent que d’après l’habit qu’il portent ; leur profession crée leurs idées ; celui qui a rompu les liens nuisibles au progrès de la raison paroît seul posséder un jugement libre que rien ne tyrannise : Accoutumé à renfermer ses desirs dans le cercle de ses besoins réels il n’en aura point d’illimités. […] Dignes compagnes de l’homme, osez penser avec lui ; la Nature vous a donné le même esprit.

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