Cet épisode, que la Nouvelle se propose de peindre, elle le détache, elle l’isole. […] C’est bien pour cela qu’il s’interdit, dans ses livres, de se peindre lui-même. […] C’est par la seconde qu’avortent ceux qui se dégoûtent trop de ce qu’ils peignent. […] Oui, la réalité se présente par fragments successifs, mais elle ne peut être peinte que si elle est connue. […] Peindre un esprit, c’est peindre une génération, du moins dans quelques-uns de ses traits essentiels.
Le roi a un cheval tué sans quitter le feu. » La déroute suprême est peinte comme les deux batailles ; la monarchie prussienne est anéantie dans son armée. […] L’historien, ici dominé par la puissance de la vérité, renonce enfin à flatter son héros ; il se contente de le peindre, il le donne en spectacle et on peut dire même en scandale à la justice de l’histoire. […] La tragédie ne suffit pas ici pour fournir les couleurs au tableau, la comédie lui en prête ; Molière, Beaumarchais, Machiavel, Tacite semblent forcés de se réunir dans ces ténébreuses journées de Bayonne pour peindre un rôle où l’intrigue, l’hypocrisie, la violence et la trahison surpassent Alexandre VI, Tartufe et César dans un même acte diplomatique. […] Ces choses sont-elles réellement écrites quand elles ne sont ni peintes, ni senties, ni réfléchies, et quand le narrateur fidèle n’est pas en même temps le suprême artiste ?
Au bout d’une causerie sur l’art qui lui apporte une espèce d’enivrement, s’arrêtant au milieu de l’escalier qu’il descend, et renversé sur la rampe, en face d’un dessin de Watteau, représentant : Le Printemps, peint par le maître dans la salle à manger de Crozat, les yeux tout ronds, le bout du nez fébrilement dilaté, la bouche contractée comme en une dégustation gourmande, Groult au milieu de paroles en déroute, coupées par cette phrase : « Vous les verrez, Monsieur, chez moi ! […] Il peint l’enrôlement, où on demande à l’enrôlé d’où il est, et où on écrit son lieu de naissance, sans y croire, où on lui demande son nom, et où il donne dix fois sur cent, le nom de Weber ou de Meyer, et où on lui dit : « Non, il y en a trop, tu t’appelleras Martin ou Lafeuille » : enrôlement où l’on n’écoute pas ce que l’enrôlé raconte de sa vie antérieure. […] Causerie avec le peintre Carrière, qui me tire de sa poche, un petit calepin, où il me montre une liste de motifs parisiens qu’il veut peindre, et parmi lesquels, il y a une marche de la foule parisienne, cette ambulation particulière, que j’ai si souvent étudiée d’une chaise d’un café du boulevard, et dont il veut rendre les anneaux, semblables pour lui aux anneaux d’une chaîne. […] Mardi 23 décembre Oui, une seule fois dans le décor, la répétition de l’acte du Tribunal de La Fille Élisa, et encore avec un tas de choses qui manquent, et sans les bancs, qui doivent être faits, et peints, et séchés à la lampe, demain matin.
Duclos, son ami, l’un de ceux qui ont le mieux parlé de lui, et dont la brusquerie habituelle s’est adoucie pour le peindre, a dit : « De la naissance, une figure aimable, une physionomie de candeur, beaucoup d’esprit, d’agrément, un jugement sain et un caractère sûr, le firent rechercher par toutes les sociétés ; il y vivait agréablement. » Marmontel enfin, moins agréable cette fois que Duclos, et avec moins de nuances, nous dit : « L’abbé de Bernis, échappé du séminaire de Saint-Sulpice, où il avait mal réussi, était un poète galant, bien joufflu, bien frais, bien poupin, et qui, avec le Gentil-Bernard, amusait de ses jolis vers les joyeux soupers de Paris. » Cette figure ronde et pleine, cette belle mine rebondie et à triple menton, qui frappe dans les portraits de Bernis vieilli, il la prit d’assez bonne heure : mais d’abord il s’y mêlait quelque chose d’enfantin et de délicat ; et toujours, jusqu’à la fin, le profil gardera de la distinction et de l’élégance : le front et l’œil sont très beaux. […] Dans quelques épîtres, il y a d’assez jolis passages, et qui le peignent, sur l’ambition, sur la paresse : Qui sait, au printemps de son âge, Souffrir les maux avec courage A bien des droits sur les plaisirs.
Cette arrivée du roi est peinte par Joinville avec une vivacité brillante où l’affection et l’admiration se confondent : Là où j’étais à pied avec mes chevaliers, ainsi blessé comme je l’ai dit devant, vint le roi avec toute sa bataille (avec sa troupe) à grand fanfare et à grand bruit de trompes et timbales, et il s’arrêta sur un chemin levé (une chaussée)u : jamais si bel homme armé ne vis, car il paraissait au-dessus de tous ses gens, des épaules jusqu’à la tête, un heaume doré en son chef, une épée d’Allemagne en sa main… Peintres de batailles, que vous en semble ? […] C’est un dernier trait qui achève de peindre cette franche et droite nature