C’est ainsi que les peintres ont personifié les vertus, les vices, les roïaumes, les provinces, les villes, les saisons, les passions, les vents et les fleuves. […] Les peintres sont poëtes, mais leur poësie ne consiste pas tant à inventer des chimeres ou des jeux d’esprit, qu’à bien imaginer quelles passions et quels sentimens l’on doit donner aux personnages suivant leur caractere et la situation où l’on les suppose, comme à trouver les expressions propres à rendre ces passions sensibles et à faire deviner ces sentimens. […] Dans l’un, le peintre a répresenté l’homme tyrannisé par les passions, et dans l’autre, il exprime d’une maniere simbolique l’empire de la vertu sur les passions. […] On voit bien le sujet que la passion doit animer, mais on ne le voit point dans l’état où la passion doit le mettre, et c’est dans cet état qu’il le faut peindre. […] Toutes les expressions doivent tenir du caractere de tête qu’on donne au personnage qu’on répresente agité d’une certaine passion.
Vérité de la passion : lutte contre le faux idéalisme. […] Il vit les libres compagnies, les comédiennes ; il éprouva les plaisirs et les passions. […] Peintre de la passion, il réagit contre Quinault sans revenir à Corneille. […] Ainsi, tandis que Corneille résout le conflit de la volonté et des passions par la victoire de la volonté, Racine conclut au triomphe des passions : et comme Corneille tend à supprimer les passions, il tend à supprimer la volonté. […] Et Agrippine, Clytemnestre, Athalie, chacune en son genre, ne sont aussi que passion.
Par l’ambition, je désigne la passion qui n’a pour objet que la puissance, c’est-à-dire, la possession des places, des richesses, ou des honneurs qui la donnent ; passion que la médiocrité doit aussi concevoir, parce qu’elle peut en obtenir les succès. […] Le feu de cette passion dessèche, il est âpre et sombre, comme tous les sentiments qui, voués au secret par notre propre jugement sur leur nature, sont d’autant plus éprouvés que jamais on ne les exprime. […] C’est dans la lutte de leurs intérêts, et non dans le silence de leurs passions, qu’on croit découvrir les véritables opinions des hommes : et quel plus grand malheur que d’avoir mérité une réputation opposée à son propre caractère ! […] L’ambition est la passion qui, dans ses malheurs, éprouve le plus le besoin de la vengeance, preuve assurée que c’est celle qui laisse après elle le moins de consolation. […] Non : jamais un effort impuissant ne laisse revenir au point dont il voulait vous sortir, la réaction fait redescendre plus bas ; et le grand et cruel caractère des passions c’est d’imprimer leur mouvement à toute la vie, et leur bonheur à peu d’instants.
Du vague des passions. […] Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d’exemples qu’on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments, rendent habile sans expérience. […] Les femmes, indépendamment de la passion directe qu’elles font naître chez les peuples modernes, influent encore sur les autres sentiments. Elles ont dans leur existence un certain abandon qu’elles font passer dans la nôtre ; elles rendent notre caractère d’homme moins décidé ; et nos passions, amollies par le mélange des leurs, prennent à la fois quelque chose d’incertain et de tendre. […] Dégoûtées par leur siècle, effrayées par leur religion, elles sont restées dans le monde, sans se livrer au monde : alors elles sont devenues la proie de mille chimères ; alors on a vu naître cette coupable mélancolie qui s’engendre au milieu des passions, lorsque ces passions, sans objet, se consument d’elles-mêmes dans un cœur solitaire55.
Le plus grand triomphe du génie c’est de deviner la passion ; qu’est-ce donc qu’elle-même ? […] qu’il est beau ce sentiment qui, dans l’âge avancé, fait éprouver une passion peut-être plus profonde encore que dans la jeunesse ; une passion qui rassemble dans l’âme tout ce que le temps enlève aux sensations ; une passion qui fait de la vie un seul souvenir, et dérobant à sa fin tout ce qu’a d’horrible, l’isolement et l’abandon, vous assure de recevoir la mort, dans les mêmes bras qui soutinrent votre jeunesse, et vous entraînèrent aux liens brûlants de l’amour. […] Malgré le tableau que j’ai tracé, il est certain que l’amour est de toutes les passions la plus fatale au bonheur de l’homme. […] L’amour est la seule passion des femmes ; l’ambition, l’amour de la gloire même leur vont si mal, qu’avec raison, un très petit nombre s’en occupent. […] Mais s’il est un exemple qui puisse donner à la vertu même des instants de mélancolie, quelle femme, toutefois, quand l’époque des passions est passée, ne s’applaudit pas de s’être détournée de leur route ?