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917. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVIII. Lacordaire »

Lacordaire ont donc fait passer les philosophes sur le moine et même le moine sur les philosophes, car le P.  […] Mais le Père Lacordaire, moderne lui-même comme le roman, a trouvé que ce n’était pas assez que les quelques mots, rayonnants dans les placidités du divin récit, que les quelques faits qui donnent Dieu et l’homme en bloc ; il a voulu, qu’on me passe le mot, y mettre plus d’homme, et il l’a voulu pour émouvoir les âmes où il y a plus de créature humaine que de chrétienne, car ce livre — on le sent par tous ses pores, — est écrit surtout pour les femmes et pour les âmes femmes, quel que soit leur sexe. […] Le prêtre de l’Oraison funèbre d’O’Connell, le moine des clubs et de l’Assemblée nationale, qui passa, en sa robe blanche de dominicain, des examens de civisme devant des étudiants en droit ! […] Lacordaire n’a passé, en brillant, dans le livre qu’il publie aujourd’hui ! […] D’ailleurs, il y a l’émotion et la voix transfigurant cette langue qui passe et dont il ne reste dans le souvenir qu’un écho !

918. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

Son passé, son ancienne élévation ministérielle, ses relations de monde et d’école, son titre littéraire d’académicien, tout, jusqu’à sa position de vaincu politique, — car, en France, c’est parfois une assez belle position que celle-là, — facilite merveilleusement la diffusion actuelle de ses idées et de ses écrits. Il est même à penser que sans cette circonstance de vaincu, qui touche la chevalerie française, la Critique, trop spirituelle pour ne pas vouloir être populaire, aurait passé bien vite par-dessus le Saint Anselme, de M. de Rémusat, sujet philosophique et qui ne peut intéresser qu’un très petit nombre d’esprits. […] En effet, M. de Rémusat a un passé philosophique comme il a un passé politique, et on les connaît tous les deux. […] L’esprit de M. de Rémusat a eu la maturité des femmes blondes, — il a passé.

919. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

Et d’autant plus qu’en philosophie, et surtout en philosophie allemande, on s’entend si peu que, souvent, l’interprète le plus fidèle d’une philosophie passe, même aux yeux des adeptes de cette philosophie, pour un déformateur et un calomniateur d’idées. […] Son système, véritable effort d’esclave qui fait de la métaphysique comme le noir fait de la canne à sucre, ira rejoindre les autres systèmes de métaphysique qu’a vus passer le monde, dans ce vaste cimetière d’éléphants où ils gisent tous, oubliés ; mais on en rapportera les choses d’esprit comme des ivoires. […] Avant ce voyage d’Italie, Schopenhauer, le quart d’Allemand, avait passé sa thèse de docteur, à Berlin, sur cet adorable sujet pour les besaciers qui ont l’impertinence de se moquer de la Scholastique : De la quadruple racine de la raison suffisante. […] Jusque-là, l’intelligence avait passé la première dans les contemplations et les élucubrations de la philosophie. […] Éclairée par la connaissance de ce monde, la volonté cesse son vouloir, ne veut plus vivre, et se libère par le parfait repos. » C’est l’histoire des fakirs aux Indes, qui passent leur vie à se regarder le bout du nez, pendant que les oiseaux font leurs nids et tout ce qu’ils veulent sur leurs têtes immobiles.

920. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

C’est l’homme, ici, qui a chanté comme aurait pu chanter la femme, et la femme, comme l’homme n’a pas chanté· II Je ne crois pas, du reste, que dans la littérature de ce vieux monde moderne, qui se croit moderne et qui n’est que vieux, inspiration pareille à celle de ces poésies ait déjà passé. […] Au moins, dans tous les autres poètes qui chantent les angoisses familières aux âmes passionnées, ou même dans Baudelaire, le Vampire, ce pourlécheur des pourritures devant lesquelles, vivantes, le malheureux se prosternait, il y a, au milieu des ruines et des désolations de la créature qui se sent mourir et qui croit que tout va finir avec elle, des pages éclairées, des tableaux qui passent accentués plus ou moins de fraîcheur et de mélancolie, des souvenirs qui attirent et retiennent comme des yeux fascinateurs rouverts, des caresses qui se reprennent aux beaux cadavres pressés autrefois sur le cœur. […] Il n’y a, enfin, dans cette poésie signée d’une femme, que des muscles de gladiateur tendus jusqu’à se rompre contre la Fatalité invincible, contre cet effroyable train des choses qui va passer tout à l’heure et tout anéantir ! […] L’oiseau qui plane ou passe Au-delà du nuage a frissonné d’horreur, Et les vents déchaînés hésitent dans l’espace            À l’étouffer sous leur clameur. […] elle avait passé le milieu de la vie déjà quand parurent ces poésies, et elle ne nous a donné que quelques pièces de vers après tout, phénix consumé peut-être, et absorbé, en tout cas, par la philosophie, qui n’a jamais rencontré de poète lui appartenant si exclusivement· En donnera-t-elle encore ?

921. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Il était peu connu, ce poète qui avait passé trente ans dans la volupté de sa rêverie et de ses vers, et qui a eu le temps de ramasser cet éclatant boisseau de poésies de toute espèce qu’il versait en une seule fois si luxueusement à nos pieds. […] on aime toujours trop, quand on veut rester fort… L’amour a passé par là, disait Fontenelle, quand il voyait une femme pâlie et défaite. L’amour de Hugo et de de Musset a passé par là, dans Saint-Maur ! […] Au fond, Saint-Maur est, de tempérament, assez poète pour se passer de littérature, pour ne pas avoir besoin de cette impalpable et brillante poussière de la fleur des autres qui colore quelquefois ses ailes et que j’aurais voulu n’y pas retrouver· III Et, en effet, c’est un poète, Saint-Maur, et un poète involontaire. […] Tout près, dans l’angle obscur de l’étable rustique, — Jadis le presbytère, — une vache au poil roux Vous regarde passer d’un œil profond et doux, Et l’on songe à la crèche, à Jésus, — c’est mystique.

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