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2213. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Elle fait de la femme auteur l’entretien de tous ; elle viole le foyer, elle lève le voile, elle écarte la pudeur, elle appelle sur le nom, sur le visage, sur l’intelligence, sur l’âme même de la femme célèbre, le regard, la pensée, l’applaudissement ou le sarcasme du monde ; la femme devient une actrice qui ne monte pas sur la scène, mais c’est une actrice à domicile, qui s’introduit avec son livre dans le foyer de chacun, qui passe de mains en mains comme une chose vénale, qui sollicite, au lieu du silence, le bruit, au lieu du mystère l’éclat, au lieu de l’estime d’un seul la renommée de tous. […] Oracle pour les uns, idole pour les autres, il était passé à l’état de divinité. […] Necker les condensait tous ; mais, par une politique personnelle qui s’appliquait à recruter des partisans dans tous les partis de la pensée, monsieur et madame Necker gardaient une certaine neutralité caressante entre tous ces philosophes et tous ces écrivains, promulguant les principes, ajournant les applications, ménageant les rivalités, vénérant le passé, saluant l’avenir, se réfugiant dans la tolérance pour n’avoir pas à se prononcer entre la philosophie et le christianisme, entre l’aristocratie et le peuple, entre la monarchie et la république. […] Rousseau, son compatriote, avait passé dans cette enfant. […] Le commérage relevé à la dignité d’entretien, tantôt léger, tantôt sérieux, passa en loi.

2214. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Trop souvent même, les intérêts personnels passèrent au premier plan ; et les orateurs de l’orléanisme nous apparaissent comme occupés surtout de saisir ou de retenir le pouvoir, divisés par leur ambition seule, et montant à l’assaut du ministère, sans s’inquiéter de discréditer la bourgeoisie qu’ils représentent tous au même titre, ou d’ébranler la dynastie dont ils sont tous également serviteurs. […] Villemain705, lauréat académique, suppléant de Guizot, passa de la chaire d’histoire dans celle d’éloquence française. […] Sous la monarchie de Juillet, la vie et le bruit passèrent de la Sorbonne au Collège de France : Quinet et Michelet prirent la direction de la jeunesse en soufflant les passions démocratiques : on mangeait du Jésuite à leurs cours. […] M. et Mme Guizot, le Temps passé (Mélanges de critique), 1887, 2 vol. in-12. — A consulter : J. […] Il redevint président du conseil et ministre des affaires étrangères en 1850 (mars à octobre) ; il passa les huit dernières années du règne dans l’opposition.

2215. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Dans de telles circonstances, un livre de Balzac, un livre presque inconnu, et qui ne se rattachait par aucun lien à l’ensemble de La Comédie humaine, pouvait-il passer sous les yeux de la Critique sans les attirer ? […] Ils ne sont ni l’expression d’une société vivante, ni même l’œuvre d’un homme vivant ; car Balzac semble avoir traversé le tombeau pour les écrire et pris une âme de ce passé qu’il a voulu peindre. […] Mais ce frais écho de l’éclat de rire du Passé dans des ruines couchées à terre, n’insulte rien et ne peut plus rien renverser. […] Balzac, avant d’écrire cette épopée tout en épisodes où, malgré l’absence du rythme, la poésie coule à bords aussi pleins que dans le lit transparent des strophes de l’Arioste, Balzac avait vécu longtemps dans la fécondante intimité de Rabelais ; comme la belette de la fable, il s’était engraissé dans ce vaste grenier d’abondance… Or, par une singulière analogie, qui a été une loi de conduite pour l’intelligent éditeur, Gustave Doré a aussi passé avec Rabelais ses premières années d’invention et d’étude. […] XI Que de choses il faudra, je ne dis pas pour la racheter, cette faute, mais pour faire seulement passer par-dessus !

2216. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — III. (Fin.) » pp. 175-194

Cela serait supportable à un jeune homme qui n’aurait jamais rendu preuve de son courage, et qui désirerait commencer sa fortune ; mais, la vôtre étant déjà si avancée que vous possédez les deux plus importantes et utiles charges du royaume, vos actions passées vous ayant acquis envers moi toute confiance de valeur, et ayant plusieurs braves hommes dans l’armée où vous commandez maintenant, vous leur deviez commettre ces choses remplies de tant de dangers : partant, avisez à vous mieux ménager à l’avenir ; car, si vous m’êtes utile en la charge de l’artillerie, j’ai encore plus besoin de vous en celle des finances. […] N’oublions pas qu’il y avait trente ans que Sully était sur la scène, et vingt ans qu’il figurait dans les hauts emplois : il n’est pas donné aux hommes de se renouveler à volonté et de s’éterniser. « Le temps des rois est passé, et celui des grands et princes est revenu », c’était le cri universel dans les cabales du Louvre : Sully ne pouvait en être, et il n’était pas en mesure d’en triompher. […] Il paraît avoir été surtout sensible au passé, à ce qui s’était perdu, selon lui, d’irréparable. […] Lui-même il a dû céder quelquefois à un sentiment bien naturel de vieillard et de loyal serviteur voué au deuil, sinon en exagérant le passé, du moins en prêtant à certaines idées qui lui revenaient plus de corps qu’elles n’en avaient eu réellement.

2217. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Elle accoucha de moi en grand vertugadin… » Au temps de ce père altier et sévère, l’habitude était de se faire craindre ; et, si les mœurs avaient de la roideur antique, en revanche, du temps que le prince écrivait ces lignes légères, cette mode avait bien changé ; les mœurs s’étaient détendues tout d’un coup, et du respect on avait subitement passé à l’impertinence. […] Il fait ses premiers prisonniers ; c’étaient quinze ou seize hommes et un capitaine qui, se trouvant coupés, se rendirent : « Et je les fis passer derrière les rangs avec un plaisir qui tenait de l’enfance. » L’affaire faite, il a perdu plus de la moitié de son bataillon, et ces débris victorieux continuent de rester encore exposés au canon fort mal à propos : « Il n’était venu en tête à personne de nous mettre à l’abri ; cependant tout était fini, et notre artillerie répondait fort mal à celle des Prussiens. […] Il n’est pas exclusif ; il serait bien fâché de bannir la ligne droite ; il ne veut pas substituer la monotonie anglaise à la monotonie française, ce qui de son temps arrivait déjà ; mais, en jardins comme en amour, il est d’avis qu’il ne faut pas tout montrer d’abord, sans quoi, le premier moment passé, l’on bâille et l’on s’ennuie. […] Un tableau sans figures ressemble à la fin du monde. » Pourtant le prince de Ligne, dans les dernières années de sa vie passées à son Refuge sur le Leopoldsberg près de Vienne, paraîtra en être venu à admirer plus véritablement la nature pour elle-même.

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