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1911. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Qu’on plonge dans le bain musical, pour la faire passer à la vérité et à la vie, cette notation juste de M. Delacroix : « l’énergie est chez lui l’aspiration de l’énergie, le rêve de l’énergie, la nostalgie d’un passé historique plutôt que la puissance de construction d’un avenir. » L’image de la cristallisation qui forme le leit-motiv du livre est à la fois le produit d’une imagination musicale, une figure de la réalité amoureuse : " il me semble, dit Stendhal dans une lettre, qu’aucune des femmes que j’ai eues ne m’a donné un moment aussi doux et aussi peu acheté que celui que je dois à la phrase de musique que je viens d’entendre. " la musique, surtout telle que la goûtait Stendhal qui n’y sentait qu’un motif de rêverie, c’est le monde et l’acte mêmes de la cristallisation parfaite, de sorte que Beyle, amoureux de second plan, simple amateur en musique, se définirait peut-être comme un cristallisateur. […] Parmi les autres, les exceptions sont rares, toutes confirmeraient la règle ; passez en revue les grands artistes du XIXe siècle, dont on extrait pièce à pièce les correspondances et les confidences. […] " la cristallisation de Stendhal, dit-il, ne définit qu’un amour unilatéral : elle exprime ce qui se passe dans le moi d’un être songeant à rechercher un autre être, elle n’explique pas la réciprocité de cette recherche et c’est en quoi elle n’est pas complète.

1912. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIV. »

Le hasard même, qui a tant mutilé la statue du passé, sera d’accord ici avec les conjectures de la raison. […] Mais tu ne croiras pas, avant d’avoir inondé ces plaines de ton sang, et jusqu’à ce que ce fleuve apporte des milliers de tes morts dans la vaste mer, à l’extrémité de la terre fertile, et que ta chair serve de pâture aux poissons, aux oiseaux, et aux bêtes féroces qui habitent ces terres. » Puis, de cette réminiscence homérique appliquée si tragiquement aux blessures récentes de Rome, la même prédiction, le même texte mystérieux, passait à d’autres révélations plus consolantes : « Romains, disait-il, si vous voulez chasser l’ennemi et ce chancre dévorant qui vous est venu de loin, il faut, c’est mon avis, consacrer des jeux qui, chaque année, se renouvellent pieusement pour Apollon, le peuple en acquittant une partie et les citoyens le reste, chacun pour soi. […] « Sur la nouvelle du sénatus-consulte de rappel, qui venait de passer au sénat réuni dans le temple de la Vertu, ce grand artiste, dit Cicéron165, toujours au niveau des premiers rôles dans la république comme sur la scène, les yeux en pleurs, avec un rayon de joie mêlé de douleur et de regret, défendit ouvertement ma cause, par des paroles plus puissantes que je n’aurais pu en trouver moi-même. […] La justice envers le passé, la liberté de souvenirs que Pollion avait, à ce qu’il semble, portées dans l’histoire, auraient paru sans doute trop hardies sur la scène.

1913. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXI » pp. 281-285

Si vous voulez, par exemple, vous petit journal, journal moins riche que la Presse, donner à vos abonnés de l’Alexandre Dumas, la Presse vous en recédera pour tant : car elle a acheté tout ce que peut faire et signer Alexandre Dumas pour douze ou quinze ans, elle en a plus qu’elle n’en peut consommer, mais c’est par elle et par ses conditions désormais que vous devez en passer. […] Thiers va publier l’Histoire du Consulat dans quelque temps, on espère exciter par là Chateaubriand à détacher de ses Mémoires toute la partie relative au duc d’Enghien et au Consulat ; le désir de rétablir les faits à son point de vue et la démangeaison de contredire Thiers feraient ainsi passer l’illustre écrivain sur la détermination, qu’on disait invariable, de ne rien laisser publier, avant sa mort, de son livre tant convoité.

1914. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Appendice. »

Taine lisait Kant et Spinoza pour se distraire et passait le reste de son temps à feuilleter ses camarades ; c’était son mot. […] mauvais jour où je fus occupée À veoir passer archiers et gens du roy !

1915. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — I. La Thébaïde des grèves, Reflets de Bretagne, par Hyppolyte Morvonnais. »

En quittant le romancier raffiné de la Torpille, on ne saurait passer dans un monde plus différent. […] Marche donc, mon enfant, image du passé ; Ranime mon esprit qui, voyageur lassé,     Se traîne vers l’hôtellerie.

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