C’est pour se distraire, pour chercher à soulager et à remplir son âme, qu’il conçut son travail estimable contre les athées, les incrédules du temps et les railleurs, et qu’il intitula : De l’importance des opinions religieuses (1788) : Mes pensées, dit-il, ne pouvant plus s’attacher à l’étude et à la recherche des vérités qui ont l’avantage politique de l’État pour objet ; mon attention ne devant plus se fixer sur les dispositions particulières de bien public qui sont nécessairement unies à l’action du gouvernement, je me suis trouvé comme délaissé par tous les grands intérêts de la vie. […] Pour mettre sa sensibilité plus à son aise, par un singulier et subtil accommodement il supposait que c’était d’un autre que lui qu’il parlait : C’est d’un moi que je parle, et non pas de moi ; car, loin des hommes, au pied des hautes montagnes, au bruit d’une onde monotone qui ne présente d’autre idée que la marche égale du temps, et sans autre aspect qu’une longue solitude, une retraite silencieuse que bordent déjà les ombres d’une éternelle nuit, je n’ai plus de rapport avec ce ministre naguère emporté par les événements, agité par les passions du monde, et sans cesse aux prises avec l’injustice ; je n’ai plus de rapport avec lui que par les émotions d’une âme sensible… Il revient à chaque instant, avec des cris de David ou de Job, sur cette calamité, qui véritablement n’était pas si grande qu’il le supposait : Quelquefois seulement, au pied de ces montagnes où l’ingratitude particulière des représentants des Communes m’a relégué, et dans les moments où j’entends les vents furieux s’efforcer d’ébranler mon asile, et renverser les arbres dont il est environné, il m’arrive alors peut-être de dire comme le roi Lear : « Blow, winds, … Soufflez, vents impétueux ! […] Beaucoup de gens ont parlé après lui de l’accord parfait de la morale et de la politique ; il n’en parlait pas seulement, il y croyait, et s’y astreignait aussi scrupuleusement que possible en toute circonstance ; mais il entendait cette morale au sens strict et particulier de l’homme de bien agissant dans la sphère privée.
La conversation de M. de Suhm avait un charme particulier qui nous arrive jusque dans ses lettres, quelque chose d’affectif et de pénétrant : Frédéric y était sensible autant qu’esprit peut l’être : « Si désormais vous alliez vous résoudre à ne parler et à n’écrire qu’en chinois, lui disait-il, je serais homme à l’apprendre pour profiter de votre conversation. » Quant à M. de Suhm, il a, dès les premiers instants, deviné et senti la grandeur de Frédéric ; il lui a voué une admiration tendre, ardente, perspicace, qui lui révèle à l’avance la gloire du prochain règne, et qui déborde prophétiquement en toutes ses paroles. […] Je cours après le temps que j’ai perdu si inconsidérément dans ma jeunesse, et j’amasse, autant que je le puis, une provision de connaissances et de vérités. » Plus tard, bientôt, au lendemain de son avènement au trône, la passion le saisira ; l’amour de la gloire, l’idée de frapper un grand coup au début et de marquer sa place dans le monde le fera, coûte que coûte, guerrier et conquérant ; il semblera oublier ses vœux et ses serments philosophiques de la veille ; il oubliera qu’il vient justement de réfuter Machiavel, il distinguera entre la morale qui oblige les particuliers et celle qui doit diriger le souverain. […] M. de Suhm, avant de se croire en état d’y satisfaire, développe au prince quelques considérations générales, « dont sa pénétration, dit-il, saura d’elle-même tirer les conséquences particulières ».
De ce caractère fondamental de notre drame, qui le distingue, comme on voit, si radicalement du théâtre grec (et même du théâtre anglais, le système de Shakespeare étant encore tout différent), de ce caractère naissent toutes les conditions particulières de notre théâtre : d’abord sa noblesse, son caractère idéal et héroïque. […] Ce n’est pas seulement sur deux points particuliers que Bossuet me paraît s’être trompé : c’est sur tout un ensemble de faits qui, dans la politique, dans la science, dans la conscience, se sont produits à partir du xve siècle, et qui, espérons-le, sont appelés à conquérir le monde. […] Si je résiste à Bossuet, c’est pour obéir à Dieu. » Il me semble que les erreurs de Bossuet n’ont pas un caractère si particulier et si miraculeux.
Les sciences qui étudient les choses diverses et particulières peuvent accepter tout ce qui est acquis sans renoncer à y ajouter ; mais la science qui prétend atteindre au fond des choses ne peut pas admettre qu’il y ait deux manières de concevoir le fond des choses. […] Chacun d’eux est comme un microcosme où tout vient se réfléchir sous un angle particulier qui altère et restreint les proportions de l’ensemble. […] Kant lui-même, malgré son affreux pédantisme, est encore un penseur assez large et assez libre, et il est très-abondant en vues particulières, plus ou moins liées avec le tout.
Il poussait jusqu’à l’extrême le culte du beau dans la littérature ancienne, qui était comme son domaine particulier, et il croyait avoir des droits sur la moindre découverte qui y était faite. […] Lorsqu’il apprit que mes Mélanges de Littérature grecque allaient être imprimés, il me pria de lui permettre de revoir les épreuves avec moi et d’en extraire au fur et à mesure, pour son usage particulier, tous les fragments nouveaux de poètes.