Seule tu peux assurer une tranquille paix aux mortels : car les rudes travaux de la guerre sont sous la loi de Mars tout-puissant, qui souvent se jette sur ton sein, comme enchaîné par la blessure d’un immortel amour ; et, les yeux élevés vers toi, la tête mollement renversée en arrière, nourrit d’amour ses regards avides, aspirant à toi, ô déesse ! […] Quelle grandeur alors auraient eue ses tableaux, épurés de cette mythologie qu’il méprise, mais remplis de cette présence divine que ses yeux trompés n’ont pas aperçue dans l’univers ! […] C’est la poésie lyrique en action ; et nulle part, à nos yeux, elle n’aura montré plus de grâce noble et naïve. […] A-t-elle perdu la chaste fleur de sa beauté, elle n’est plus aimable aux yeux des adolescents, ni chère aux jeunes filles. […] Car, dans les chastes maisons des hommes, les dieux alors avaient pour usage de descendre et de se montrer aux yeux mortels, la piété n’ayant pas encore cessé d’être en honneur.
Le critique, et même le lecteur français, ne s’inquiète plus de ce qui lui plaît, de ce qu’il aimerait naturellement, sincèrement ; il s’inquiète de paraître aimer ce qui lui fera le plus d’honneur aux yeux du prochain. […] Les Byron, les René, les Musset sont très peu, à mes yeux, des amoureux simples. […] Il ne songe pas à rehausser et à redorer son cadre, à rajeunir ses images de bordure et de lointain par l’observation de cette nature nouvelle, qu’il avait eue pourtant sous les yeux et qu’il éteignait sous des couleurs un peu vagues : il estimait que Bernardin de Saint-Pierre l’exagérait et la rendait trop ; lui, il ne la rendait pas. […] à un certain moment, si vous la lisez avec attention, un étrange sentiment se laisse apercevoir : Elle me confondait avec sa propre vie, Voyait tout dans mon âme ; et je faisais partie De ce monde enchanté qui flottait sous ses yeux… Avant moi cette vie était sans souvenir… Et la comparaison développée du beau cygne qui trouble une onde pure dans un bassin, ne voyez-vous pas comme il la caresse ?
L’homme vain s’enorgueillit de tout lui-même indistinctement, c’est moi, c’est encore moi, s’écrie-t-il ; cet égoïsme d’enthousiasme fait un charme à ses yeux de chacun de ses défauts. — Cléon est encore à cet égard un bien plus brillant spectacle ; toutes les prétentions à la fois sont entrées dans son âme ; il est laid, il se croit aimé, son livre tombe, c’est par une cabale qui l’honore, on l’oublie, il pense qu’on le persécute ; il n’attend pas que vous l’ayez loué, il vous dit ce que vous devez penser ; il vous parle de lui sans que vous l’interrogiez, il ne vous écoute pas si vous lui répondez, il aime mieux s’entendre, car vous ne pouvez jamais égaler ce qu’il va dire de lui-même. […] On a besoin de ce qu’on méprise, on ne peut s’y soumettre, on ne peut s’en affranchir, c’est à ses propres yeux que l’on rougit, c’est à ses propres yeux que l’on produit l’effet que le spectacle de la vanité fait éprouver à un esprit éclairé et à une âme élevée. […] Elle observe les regards, les plus légers signes de l’opinion des autres, avec l’attention d’un moraliste, et l’inquiétude d’un ambitieux, et voulant dérober à tous les yeux le tourment de son esprit, c’est à l’affectation de sa gaîté pendant le triomphe de sa rivale, à la turbulence de la conversation qu’elle veut entretenir pendant que cette rivale est applaudie, à l’empressement trop vif qu’elle lui témoigne, c’est au superflu de ses efforts enfin qu’on aperçoit son travail.
« Les interruptions, les repos, les sections, dit excellemment Buffon, ne devraient être d’usage que quand on traite des sujets différents, ou lorsque, ayant à parler de choses grandes, épineuses et disparates, la marche du génie se trouve interrompue par la multiplicité des obstacles, et contrainte par la nécessité des circonstances : autrement, le grand nombre de divisions, loin de rendre un ouvrage plus solide, en détruit l’assemblage ; le livre paraît plus clair aux yeux, mais le dessein de l’auteur demeure obscur ; il ne peut faire impression sur l’esprit du lecteur, il ne peut même se faire sentir que par la continuité du fil, par la dépendance harmonique des idées, par un développement successif, une gradation soutenue, un mouvement uniforme, que toute interruption détruit et fait languir. » La constitution essentielle du sujet marque à l’écrivain les reposoirs naturels, où il peut reprendre haleine, et son lecteur avec lui ; elle délimite les portions où le regard peut successivement s’arrêter, quand le champ total est trop vaste et ne se laisse pas embrasser d’une seule vue. […] Mais quand les fragments sont trop nombreux et trop petits, on a beau les regarder tous successivement, on n’a point d’idée de l’ensemble : si on colle l’œil sur chaque feuille, chaque branche, chaque racine l’une après l’autre, on ne verra pas l’arbre : il faut se reculer et le saisir d’un regard. […] Un récit ne sera vraisemblable que par telle petite circonstance, qu’il faudra tenir toujours présente sous les yeux du lecteur : la dire une fois, ce serait tout risquer, on ne saurait la trop rappeler. […] Quand la matière est ample, et l’ouvrage étendu, il peut être utile de remettre de temps à autre sous les yeux du lecteur les résultats acquis, de lui faire mesurer le chemin déjà parcouru et celui qui reste à faire.
Comme les choses les plus connues le sont toujours moins qu’on ne croit, et que, dans tous les cas, il peut se trouver d’honnêtes gens qui ne sachent point par cœur ce morceau fameux, on me laissera le remettre sous les yeux du lecteur. […] Je ne parle pas des « regards qui se tendent en grande fixité », ni des pleurs qui « se font brèche dans de grands yeux doux » (ce ne sont peut-être que des incertitudes de langue ou des sacrifices à la rime). […] L’œil, aussi loin qu’il peut plonger Dans la perspective indécise, De chaque objet voit émerger La Peur debout, couchée, assise. […] Et, tandis qu’on grelotte, il vient par intervalle Regarder plaisamment, l’œil au trou du rideau, La grimace que fait son public dans la salle.