Remarquez que c’est encore à l’occasion de La Motte que Marivaux établit cette théorie négative des grands hommes. […] Il préfère à tout ce qui est plan et projet conçu dans le cabinet les idées fortuites nées à l’occasion, notées, prises sur le fait dans la vie du monde ; mais ces idées que lui suggère l’observation de chaque jour, il faut voir comme il les traduit dans son langage, même quand il les prête aux autres ou qu’il les met dans la bouche de ses personnages. […] Et comment, par exemple, n’appellerait-on point précieux un observateur qui vous dit, en voyant dans une foule les figures laides faire assaut de coquetterie avec les figures plus jolies (la page est curieuse et dispense d’en lire beaucoup d’autres ; mais, à côté du bon Marivaux, il faut bien qu’on sache où est le mauvais) : J’examinais donc tous ces porteurs de visages, hommes et femmes ; je tâchais de démêler ce que chacun pensait de son lot, comment il s’en trouvait : par exemple, s’il y en avait quelqu’un qui prît le sien en patience, faute de pouvoir faire mieux ; mais je n’en découvris pas un dont la contenance ne me dît : « Je m’y tiens. » J’en voyais cependant, surtout des femmes, qui n’auraient pas dû être contentes, et qui auraient pu se plaindre de leur partage, sans passer pour trop difficiles ; il me semblait même qu’à la rencontre de certains visages mieux traités, elles avaient peur d’être obligées d’estimer moins le leur ; l’âme souffrait : aussi l’occasion était-elle chaude. […] Il me semble que mon âme, en mille occasions, en sait plus qu’elle n’en peut dire, et qu’elle a un esprit à part, qui est bien supérieur à l’esprit que j’ai d’ordinaire.
Cette doctrine particulière, qu’il étudia et analysa avec une fermeté ingénieuse, ne fut jamais chez lui que secondaire et subordonnée à des principes religieux et moraux supérieurs ; il ne poussa jamais l’examen à ses dernières limites, et les aventures, les constructions de système de ceux qui affectaient en toute occasion de se proclamer ses disciples, par un sentiment de reconnaissance et de déférence sans doute, mais aussi pour se couvrir au besoin de lui, lui restèrent choses extérieures et presque étrangères. […] Royer-Collard ; un homme d’État ne refuse jamais d’être ministre quand l’occasion convenable s’en présente : c’était un grand critique en toute matière, et en politique également. […] Royer-Collard, plus expert que lui en telle matière, lut dans la discussion finale qui précéda de quelques jours à peine le terme de la session, et à l’occasion de la loi sur la dotation du Clergé. […] J’avais supprime d’abord comme faisant longueur, mais j’ajoute ici en manière de post-scriptum mon jugement sur l’historien et sur son livre : « Ces volumes de M. de Viel-Castel, on le voit, m’ont fourni une matière qui n’est pas près de s’épuiser, et sur laquelle j’aurai assez l’occasion de revenir à propos des volumes suivants.
De ce qu’ils ont une qualité à un degré éminent, il ne s’ensuit pas qu’ils n’en aient pas d’autres, au second plan pour ainsi dire, et qui ne se produisent que par intervalle, à l’occasion, mais qui ne leur font pas défaut. […] L’empereur eut, à celle occasion, des paroles de sensibilité pour le roi et le père malheureux, et il autorisa Horace Vernet à les redire25. Horace, à son retour de France, moins de six semaines après, se trouva d’autre part chargé confidentiellement par Louis-Philippe de certaines paroles amicales et très-conciliantes qu’il n’attendait que l’occasion pour placer. Cette occasion tarda, l’empereur n’étant jamais seul ; il aurait fallu, pour cela, qu’il allât poser dans l’atelier du peintre.
L’écrivain ou le dilettante né du peuple peut quelquefois hausser son observation jusqu’aux grands en parcourant toute la région intermédiaire : un grand ne sort point de sa classe, sauf en des occasions extraordinaires et trop rapides, et est condamné à une assez grande ignorance, à une pauvreté relative d’impressions. […] A quinze ans il vient à Paris faire sa révérence au roi, se rend à Saint-Maur auprès de sa mère, « qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de voir souvent », et va rejoindre son père dans son gouvernement de Dijon, où il complète ses études. […] Et le nouveau secrétaire d’État, Michel Le Tellier, écrivit à Gassion cette lettre que M. le duc d’Aumale ne cite pas et n’avait pas à citer, et dont les termes me paraissent très significatifs : Monsieur, la bonne part que vous avez eue en la gloire de la bataille de Rocroy a été publiée si hautement et est si connue de tout le monde, qu’il n’a pas été besoin que vos amis se soient mis en peine de faire savoir à la reine de combien de valeur et de prudence a été accompagnée la conduite que vous avez tenue en cette occasion si importante, etc. […] On lit dans ces lettres, qui font le plus grand honneur à Condé : « Je m’adresse à vous pour vous supplier de vouloir faire reconnaître les services que M. de Gassion a rendus en cette occasion d’une charge de maréchal de France.
La seule chose que je veuille conclure de ces détails qui assaisonnent en toute occasion la partie aimable des Mémoires de Marmontel, c’est qu’il était de sa nature un peu sensuel et qu’il le laisse voir, ce qui ne nuit pas à l’intérêt et ce qui fait que le lecteur se dit en le suivant : « Le bon homme embellit quelquefois le passé de trop faciles couleurs, mais il s’y montre avec naïveté en somme et tel qu’il était, il ne ment pas ! […] Ainsi, lorsqu’en janvier 1760, sortant de la Bastille, où il avait été détenu onze jours pour avoir récité en société une satire contre le duc d’Aumont, il va trouver le ministre, le duc de Choiseul, et qu’il essaie de l’émouvoir, d’obtenir qu’on lui laisse le privilège du Mercure avec lequel il soutient sa famille, ses tantes, ses sœurs, le discours qu’il se suppose en cette occasion et qu’il refait de mémoire est faux et presque ridicule : Sachez, monsieur le duc, qu’à l’âge de seize ans, ayant perdu mon père, et me voyant environné d’orphelins comme moi et d’une pauvre et nombreuse famille, je leur promis à tous de leur servir de père. […] Voltaire, en encourageant Marmontel à l’occasion de cette guerre de Bélisaire, lui écrivait : « Illustre profès, écrasez le monstre tout doucement. » On sait ce qu’il entendait par le monstre ; mais Marmontel, réellement, n’entendait par là que l’intolérance, et il s’y prit en effet doucement. […] Il ne dérogea que tard à ce système de conduite et dans un seul cas : ce fut à l’occasion de la querelle sur la musique, de la guerre ouverte entre Gluck et Piccinni.