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216. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

Une voix l’appelle dans la nuit, c’est celle d’Éponine ; elle lui dit que ses amis l’attendent à la barricade. […] Il faut les admirer et les plaindre, comme on plaindrait et comme on admirerait un être à la fois nuit et jour qui n’aurait pas d’yeux sous les sourcils et qui aurait un astre au milieu du front. […] Faites donc des dieux avec cette parcelle d’intelligence emprisonnée dans cette pincée de boue, comme l’étincelle de la lampe du mineur dans son cachot qu’il n’agrandit que pour voir plus de nuit autour de son être ! […] Et tout est bien, pourvu que la lumière revienne et que l’éclipse ne dégénère pas en nuit. […] « Le livre que le lecteur a sous les yeux en ce moment, c’est d’un bout à l’autre, dans son ensemble et dans ses détails, quelles que soient les intermittences, les exceptions ou les défaillances, la marche du mal au bien, de l’injuste au juste, du faux au vrai, de la nuit au jour, de l’appétit à la conscience, de la pourriture à la vie, de la bestialité au devoir, de l’enfer au ciel, du néant à Dieu.

217. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

Cette vieille bonne tombe malade chez sa maîtresse, très gravement malade, et une nuit, on vient réveiller la tragédienne, et lui apprendre que la malade agonise. […] Cette nuit, j’avais la fièvre, et chaque fois que je me retournais dans mon lit, je trouvais près de ma figure, sur mon oreiller, un des objets, dont je venais de dresser le catalogue pour la publication illustrée de La Maison d’un artiste, que doit faire Gauchez. Et me retournant de l’autre côté, c’était un autre objet : — et cela durait ainsi, toute la nuit. […] c’est terrible cette pensée — et de la terreur vient à ses yeux. — Il y a des nuits, où je saute tout à coup sur mes deux pieds, au bas de mon lit, et je reste, une seconde, dans un état d’épouvante indicible ». […] Par moments, mes doigts se mettent à rouler mécaniquement le bout de papier, qu’ils rencontrent au fond d’une poche, et cette nuit j’ai rêvé, que je la passais à la recherche, chez tous les marchands de Paris, d’un paquet de tabac frais, sentant ce bon goût si agréable.

218. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

On était dans la nuit du 4 août, nuit immortelle où tous les privilèges, toutes les distinctions nobiliaires furent abolies, sacrifiées en bloc et par les nobles eux-mêmes. […] mon ami, quelle nuit ! […] Paris est de nuit éclairé par des milliers de becs de gaz, qui font paraître impossibles et comme fabuleuses ces terreurs de nos pères, ces peurs de brigands ou, qui pis est, de fantômes et de spectres qu’engendrait l’approche de l’heure de minuit.

219. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Enfin il inventera ces étranges phrases disloquées, enveloppantes comme des draperies mouillées, mouvantes et plastiques qui semblent s’infléchir dans le tortueux d’une route : « Enfin l’omnibus, déchargé de ses voyageurs, prenait une ruelle tournante, dont la courbe, semblable à celle d’un ancien chemin de ronde, contournait le parapet couvert de neige d’un petit canal gelé » ; des phrases compréhensives donnant à la fois un fait particulier et une idée générale, des phrases peinant à noter ce que la langue française ne peut rendre et devenant obscures à force de torturer les mots et de raffiner sur la sensation : Ils savouraient la volupté paresseuse qui, la nuit, envahit un couple d’amants dans un coupé étroit, l’émotion tendre et insinuante, allant de l’un à l’autre, l’espèce de moelleuse pénétration magnétique de leurs deux corps, de leurs deux esprits, et cela, dans un recueillement alangui et au milieu de ce tiède contact qui met de la robe et de la chaleur de la femme dans les jambes de l’homme. […] Que l’on relise surtout dans La Faustin, après les vues rembranesques des répétitions diurnes à la Comédie-Française, et la sinistré fin de dîner des auteurs dramatiques, les scènes ou apparaît l’honorable Selwyn, puis cet acte cruel du dénouement égal en puissance terrifiante à la Ligeia de Poe  La Faustin imitant devant une glace, par une nuit d’automne, le rictus de son amant moribond. […] Le numéro était une fois par semaine rempli tout entier d’une fantaisie de Banville, et pour montrer à quel point on laissait ce poète hausser le ton coutumier de journaux, nous citerons de lui cette magnifique phrase, dont le pendant ne se trouvera guère dans nos quotidiens : « Ainsi dans le calme silence des nuits, aux heures où le bruit que fait en oscillant le balancier de la pendule, est mille fois plus redoutable que le tonnerre, aux heures où les rayons célestes touchent et caressent à nu l’âme toute vive, où la conscience a une voix, où le poète entend distinctement la danse des rhythmes dégagés de leur ridicule enveloppe de mots, à ces heures de recueillement douloureuses et douces, souvent, oh ! […] Une nuit à Venise est bien une fantaisie à la manière des Reisebilder, et le Ratelier aussi, sans doute avec cet alliage de minutie et de vision scrupuleuse qui marque dans la Maison d’un vieux juge les romanciers de Germinie Lacerteur.

220. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Baudelaire.] » pp. 528-529

 » Et vous avez pris l’enfer, vous vous êtes fait diable ; vous avez voulu arracher leurs secrets aux démons de la nuit. […] Vous dites quelque part, en marquant le réveil spirituel qui se fait le matin après les nuits mal passées, que, lorsque l’aube blanche et vermeille, se montrant tout à coup, apparaît en compagnie de l’Idéal rongeur, à ce moment, par une sorte d’expiation vengeresse,             Dans la brute assoupie un ange se réveille !

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