Parti de Paris le 12 juin, l’Empereur passait la frontière dans la nuit du 14 au 15, et se portait sur Charleroi. […] Il n’est pas moins vrai, et Napoléon l’a regretté lui-même, qu’il y avait eu des retards fâcheux, et que la nuit survint avant qu’on pût entrer à Fleurus, où il aurait voulu placer son quartier-général. […] Le vaillant maréchal avait-il reçu, dès son arrivée sur le théâtre de la guerre dans l’après-midi du 15, et de là bouche de Napoléon, l’ordre formel de se diriger aux Quatre-Bras et de les occuper au plus vite avant la nuit, pendant que cette position ne pouvait être encore que peu disputée ? […] En ces longs jours de juin, ne l’oublions pas, la nuit ne commence que vers neuf heures, et l’on avait toute latitude pour opérer.
Le voyageur qui se hasardait au-delà de Delphes, et qui franchissait les forêts vertigineuses du mont Cnémis, croyait voir partout, la nuit venue, s’ouvrir et flamboyer l’œil des cyclopes ensevelis dans les marais du Sperchius. […] Puis, l’heure passait, et quelquefois minuit avait sonné à tous les clochers de la vallée qu’il était encore là, debout dans quelque brèche du donjon, songeant, regardant, examinant l’attitude de la ruine ; étudiant, témoin importun peut-être, ce que la nature fait dans la solitude et dans les ténèbres ; écoutant, au milieu du fourmillement des animaux nocturnes, tous ces bruits singuliers dont la légende a fait des voix ; contemplant, dans l’angle des salles et dans la profondeur des corridors, toutes ces formes vaguement dessinées par la lune et par la nuit, dont la légende a fait des spectres. Comme on le voit, ses jours et ses nuits étaient pleins de la même idée, et il tâchait de dérober à ces ruines tout ce qu’elles peuvent apprendre à un penseur. […] Il se dit qu’il fallait que dans ce palais lugubre, inexpugnable, joyeux et tout-puissant, peuplé d’hommes de guerre et d’hommes de plaisir, regorgeant de princes et de soldats, on vît errer, entre les orgies des jeunes gens et les sombres rêveries des vieillards, la grande figure de la servitude ; qu’il fallait que cette figure fut une femme, car la femme seule, flétrie dans sa chair comme dans son âme, peut représenter l’esclavage complet ; et qu’enfin il fallait que cette femme, que cette esclave, vieille, livide, enchaînée, sauvage comme la nature qu’elle contemple sans cesse, farouche comme la vengeance qu’elle médite nuit et jour, ayant dans le cœur la passion des ténèbres, c’est-à-dire la haine, et dans l’esprit la science des ténèbres, c’est-à-dire la magie, personnifiât la fatalité.
Nul ne se dérobe dans ce monde au ciel bleu, aux arbres verts, à la nuit sombre, au bruit du vent, au chant des oiseaux. […] Lorsqu’il blâmerait çà et là une loi dans les codes humains, on saurait qu’il passe les nuits et les jours à étudier dans les choses éternelles le texte des codes divins. […] Il aurait le culte de la conscience comme Juvénal, lequel sentait jour et nuit « un témoin en lui-même », nocte dieque suum gestare in pectore testem ; le culte de la pensée comme Dante, qui nomme les damnés « ceux qui ne pensent plus », le gente dolorose ch’anno perduto il ben del intelletto ; le culte de la nature comme saint-Augustin qui, sans crainte d’être déclaré panthéiste, appelle le ciel « une créature intelligente », Coelum coeli creatura est aliqua intellectualis.
La procession y arrivait de nuit, à la clarté des flambeaux. […] Ces conseillers de nuit s’effacent, le jour, devant les personnages officiels. […] Sortie de la nuit du Moyen-Age, elle s’arrête au seuil de la Renaissance. […] Un jour de foire est pour lui ce qu’une nuit de sabbat est pour un sorcier. […] Que de cœurs ont percé à jour ces prunelles de braise qui lisent dans la nuit !
. — Les Nuits persanes (1870). — Recueil intime (1881). — Les Drames du peuple (1885). […] Émile Deschanel La plupart des fleurs qui composent le volume des Nuits persanes, fleurs exotiques cueillies dans les riches forêts de Djelaleddin-Roum l’extatique, de