Chacune de ces nations a reçu son lot de la nature. […] Son âme a reçu plus de part que celle des autres nations dans ce type éternel et ineffable de beauté qui est le modèle intérieur sur lequel se moulent les actes ou les œuvres de l’homme. […] L’Angleterre, après l’Allemagne, est en littérature la seule nation dont le génie vienne du Nord sans avoir passé par la Grèce et par Rome ; elle a la supériorité de l’originalité. […] Les institutions libres de cette nation et sa situation forcément navale ont donné à son génie incontestable le caractère multiple de ses aptitudes. […] Boileau a immensément contribué à lui conquérir et à lui maintenir incontestablement ces trois modestes mais solides supériorités sur les littératures des nations contemporaines.
L’entretien s’animant à ce sujet, et continuant de parler de cette sorte de chanson et de son influence électrique sur les nations à certaines heures, Gœthe disait qu’il fallait pour cela qu’une nation n’eût qu’une tête et qu’un cœur et, à un moment donné, qu’une seule voix : « Mais, ajoutait-il, une poésie politique n’est aussi que l’œuvre d’une certaine situation momentanée qui passe et qui ôte à la poésie la valeur même qu’elle lui a donnée. » Il reconnaissait qu’il y avait seize ans, même dans cette Allemagne si divisée, mais unie alors dans un sentiment commun contre l’étranger, un poëte politique aurait pu exercer aussi son influence sur le pays tout entier, et il ajoutait : « Mais ce poëte était inutile : le mal universel et le sentiment général de honte avaient, comme un démon, saisi la nation ; le feu de l’inspiration qui aurait pu enflammer le poëte brûlait déjà partout de lui-même. […] Comment, moi, pour qui la civilisation et la barbarie sont des choses d’importance, comment aurais-je pu haïr une nation qui est une des plus civilisées de la terre, et à qui je dois une si grande part de mon propre développement ?
Que d’autres aillent s’amuser et s’éterniser dans ces vieilles contrées usées de Rome, de la Grèce ou de Byzance, lui il était allé choisir exprès un pays de monstres et de ruines, l’Afrique, — non pas l’Égypte trop décrite déjà, trop civilisée, trop connue, mais une cité dont l’emplacement même a longtemps fait doute parmi les savants, une nation éteinte dont le langage lui-même est aboli, et dans les fastes de cette nation un événement qui ne réveille aucun souvenir illustre, et qui fait partie de la plus ingrate histoire. […] Les officiers sont impuissants à maintenir l’ordre ; plusieurs y périssent : dans ces cohues d’étrangers de toute nation, il n’y avait, nous dit Polybe, que le mot frappe qui fût entendu de tous indistinctement et qui semblât de toute langue, parce qu’il était sans cesse en usage et pratiqué. […] Chaque espèce et chaque nation de soldats est dépeinte avec son air, ses gestes, ses armures.
Il ne fit d’ailleurs que traverser l’Allemagne du centre, et, en arrivant à Varsovie, il se trouva transporté sur une terre qui tressaillait de joie au nom de France, et au sein d’une nation qui n’attendait que le signal pour se dévouer tout entière à la cause de Napoléon, inséparable alors de la sienne. […] Dans ce travail d’exploration j’avais à surmonter de nombreuses difficultés, dont la principale tenait au caractère même de la nation polonaise. […] Cet abbé, bizarrement célèbre, et qui s’était intitulé lui-même dans un de ses accès de flagornerie « l’aumônier du dieu Mars », avait été chargé, sous le titre d’ambassadeur, de prendre en main le mouvement de la nation polonaise au moment où la guerre contre la Russie se décida. […] Quel fut mon étonnement quand, au lieu de la gravité, de la décence, du soin de l’honneur national, de celui de l’entretien de la bienveillance mutuelle entre les deux nations, qui me paraissaient devoir composer l’ensemble de la manière d’être et des occupations d’un ministre de France, je trouvai un petit monsieur, uniquement occupé de petits vers, de petites femmes, de petits caquets, et qui, dans les petits rébus dont se composaient ses petites dépêches, disait familièrement au duc, en parlant de la certitude d’un éclat entre la France et la Russie : « La Russie amorcera si souvent, couchera en joue la France si souvent, que la France sera forcée de faire feu… » Brunet n’aurait pas mieux dit… Toute sa correspondance est sur ce ton, et présente un mélange fatigant d’affaires traitées avec la prétention au bel esprit du plus bas étage. » C’est ainsi que le prélat diplomate abuse d’un dépôt pour attaquer celui qui le lui a confié ; il le drape à la Figaro, et il ose parler de gravité et de décence !
Même dans l’absence des prophètes et à leur défaut, « tout l’état de la nation est prophétique. » Ô le sublime et incomparable interprète, non-seulement de n’être jamais en peine, mais de trouver à volonté, d’avoir à son service de telles explications et appellations pour ce qui caractérise et distingue un peuple qui ne serait pour d’autres que le plus crédule et le plus superstitieux des peuples ! […] On ne saurait mieux comprendre qu’en lisant Bossuet à cet endroit et dans tout ce qui suit, la difficulté qu’il y avait pour le monde, pour l’univers païen, à faire ce grand pas, à sortir non plus en la personne de quelques individus d’élite, mais en masse et par classes et nations tout entières, de cette chose confuse et qui nous paraît si absurde, l’idolâtrie. […] « Qui peut mettre dans l’esprit des peuples la gloire, la patience dans les travaux, la grandeur de la nation et l’amour de la patrie, peut se vanter d’avoir trouvé la constitution d’État la plus propre à produire de grands hommes. […] Ce qui les forme, ce qui les achève, ce sont des sentiments forts et de nobles impressions qui se répandent dans tous les esprits et passent insensiblement de l’un à l’autre… Durant les bons temps de Rome, l’enfance même était exercée par les travaux ; on n’y entendait parler d’autre chose que de la grandeur du nom romain… Quand on a commencé à prendre ce train, les grands hommes se font les uns les autres ; et si Rome en a porté plus qu’aucune autre ville qui eût été avant elle, ce n’a point été par hasard ; mais c’est que l’État romain constitué de la manière que nous avons vue était, pour ainsi parler, du tempérament qui devait être le plus fécond en héros. » La guerre d’Annibal est très-bien touchée par Bossuet ; et quand il a bien saisi et rendu le génie de la nation, la conduite principale qu’elle tint les jours de crise, et le caractère de sa politique, il ne suit pas l’historique jusqu’au bout, comme l’a fait et l’a dû faire Montesquieu.