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365. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Les Confidences, par M. de Lamartine. (1 vol. in-8º.) » pp. 20-34

s’écrie-t-il en commençant, j’ai souvent regretté d’être  ; j’ai souvent désiré de reculer jusqu’au néant, au lieu d’avancer, à travers tant de mensonges, tant de souffrances et tant de pertes successives, vers cette perte de nous-même que nous appelons la mort ! […] M. de Lamartine, dont la disposition habituelle est plutôt le contentement et la sérénité, rentre bien vite dans le vrai de sa nature, lorsqu’il nous peint sa libre et facile enfance, sa croissance heureuse sous la plus tendre et la plus distinguée des mères : « Dieu m’a fait la grâce de naître dans une de ces familles de prédilection qui sont comme un sanctuaire de piété… Si j’avais à renaître sur cette terre, c’est encore là que je voudrais renaître. » Il aurait bien tort, en effet, et il serait bien injuste s’il croyait avoir à se plaindre du sort à ses débuts dans la vie. […] S’il veut nous faire regretter Milly, c’est pour les images de tendresse qui ont peuplé, vivifié, enchanté cet enclos ; il s’enveloppe de ce sol, de ces arbres, de ces plantes nées avec lui ; il revient visiter ses souvenirs, ses apparitions, ses regrets. […] ce feu d’une passion qui s’allume à l’autre, ce roman qui va naître du roman, aura-t-il la même pureté, la même simplicité d’expression ?

366. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XX. De Libanius, et de tous les autres orateurs qui ont fait l’éloge de Julien. Jugement sur ce prince. »

À la tête des orateurs qui l’ont loué, est ce Libanius, à Antioche, et regardé comme l’homme le plus éloquent de l’Asie. […] « Ô toi, dit l’orateur, élève et disciple de ces êtres qui occupent le milieu entre la Divinité et l’homme ; toi dont la tombe n’occupe qu’une petite portion de terre, mais qui par ta gloire remplis le monde ; toi qui en commençant ta carrière, as surpassé tous les grands hommes qui ne sont pas Romains, qui en la finissant, as surpassé ceux même de Rome ; toi que les pères regrettent plus que leurs propres enfants, et que les enfants regrettent plus que leurs pères ; toi qui as exécuté de grandes choses, mais qui devais en exécuter encore de plus grandes ; toi qui foulais aux pieds tous les genres de voluptés, excepté celles qui naissent du charme inexprimable de la philosophie, protecteur et ami des dieux de l’empire ; ô prince ! […] La philosophie de l’un semblait née avec lui. […] Passionné pour les Grecs, nourri jour et nuit de la lecture de leurs écrivains, enthousiaste d’Homère, fanatique de Platon, avide et insatiable de connaissances ; avec ce genre d’imagination qui s’enflamme pour tout ce qui est extraordinaire ; ayant de plus une âme ardente, et cette force qui sait plus se précipiter en avant que s’arrêter ; d’ailleurs, accoutumé dès son enfance à voir dans un empereur chrétien le meurtrier de sa famille, et, dans le fond de son cœur, rendant peut-être la religion complice des crimes qu’elle condamne ; placé entre l’ambition et la crainte, inquiet sur le présent, incertain sur l’avenir ; ses goûts, son imagination, son âme, les malheurs de sa famille, les siens, tout semblait le préparer d’avance à ce changement qui éclata dans la suite.

367. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Alcée le faisait naître de Zéphire et d’Iris ; et d’autres gracieux détails animaient cette généalogie peu connue. […] Ce qui touche à l’histoire de l’art, c’est que, née dans Lesbos, à Mytilène : ou dans le bourg d’Érèse, plus tard la patrie de Théophraste, Sapho fut une Athénienne de la côte d’Asie. […] En échange d’elle, je ne voudrais pas de la Lydie, ni de l’aimable Ionie67. » Quelle fut la destinée de cette jeune fille, gardée par une telle tendresse, mais née sous un tel exemple ? […] « C’étaient deux roses du printemps nées dans la même prairie et s’épanouissant à la fois.

368. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — I » pp. 143-149

  L’abbé de Pons, en 1683, avait pour père le sieur de Pons d’Annonville, d’une noble famille de Champagne et chevalier d’honneur du présidial de Chaumont (sur Marne) ; il naquit à Marly, chez son oncle qui en était alors seigneur, et de qui le roi ne tarda pas à l’acquérir, « fit ses premières études au collège des jésuites à Chaumont, puis vint à Paris et entra au séminaire de Saint-Magloire, d’où il suivit l’école de Sorbonne : « Il était bon humaniste, nous dit-on ; il possédait les principes de la théologie ; mais surtout il était grand métaphysicien, dans le sens le plus étendu qu’on donne à présent (1738) à ce terme. […] La Motte, vieillard précoce, et frileux comme les vieillards (« aprici senes »), était de l’avis du grand Frédéric, qui disait : « J’ai manqué ma vocation, j’aurais dû naître espalier. » Ses infirmités, qui augmentèrent dans les dernières années, étaient déjà bien sensibles quand l’abbé de Pons le connut.

369. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

Nous aimons de tels ouvrages, parce que, s’il en naissait beaucoup de cette sorte dans des rangs qui ne sont pas les nôtres, ce serait une preuve qu’après bien des luttes et des déceptions cruelles, et même avec des dissidences d’affection persistantes, les générations nouvelles pourraient enfin s’entendre sur le terrain d’une vraie et pratique liberté. […] Si les solutions générales du problème religieux faisaient naître, comme corollaires, des solutions politiques opposées à celles qui ressortent du fait social réel et de l’observation immédiate et sensée, il faudrait s’élever contre, en montrer le faux et les ruiner ; mais, du moment qu’il y a concordance sur les résultats pratiques, le champ des motifs est libre et indéfini. […] Wilson, qui, sous son nom anglais, n’était autre qu’un fils de Mme d’Aumale, pendant l’émigration. — M. de Montalembert n’appartenait point à ce groupe ; plus jeune de quelques années, il était aussi plus tranchant, plus acerbe, et une goutte du fiel de La Mennais pénétra de bonne heure sa nature éloquente et hautaine, qui en est restée imprégnée jusqu’à la moelle.

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