Suivre par la pensée leurs masses diverses dans tous ces mouvements compliqués que leur imprime le génie du chef ; calculer à chaque moment leur nombre sur chaque point ; distribuer avec précision le matériel dont on dispose, apprécier celui que peut fournir le pays ; tenir compte des distances, de l’état des routes, y proportionner ses moyens de transport, pour qu’à jour nommé chaque corps, la plus petite troupe, reçoive exactement ce qui lui est nécessaire : voilà une faible idée des devoirs de l’administrateur militaire. […] Daru était au camp de Boulogne, et cette lettre peint assez bien le mouvement de la petite société littéraire dans son temps de parfaite union : Nos déjeuners ont recommencé le dimanche 14 (brumaire).
Si Bernier, dans cette lettre, ne se réconcilie pas nettement avec Descartes qu’il continue de considérer comme un philosophe trop affirmatif en ses solutions, il y rétracte du moins aussi formellement que possible les doctrines de Lucrèce et d’Épicure et toutes les assertions purement matérialistes nées de la théorie des atomes ; il y insiste particulièrement sur l’impossibilité d’expliquer par la matière seule et par le mouvement de corpuscules, si petits qu’on les fasse, des opérations d’un ordre aussi élevé que celles qui constituent l’intelligence, le raisonnement, la perception de certaines idées, la conscience qu’on a d’avoir ces idées, la volonté, le choix dans les déterminations, etc. ; en un mot, il y combat au long et avec détail l’épicuréisme, auquel il sait bien que Chapelle incline et est d’humeur, soit en théorie, soit en pratique, à s’abandonner : Je me promets, lui dit-il, que vous donnerez bien ceci à ma prière, qui est de repasser un moment sur ces pensées si ingénieuses et si agréablement tournées qu’on a su tirer de vos mémoires (apparemment quelques écrits et cahiers de philosophie et de littérature de Chapelle), sur tant d’autres fragments de même force que je sais qui y ont resté, et généralement sur tous ces enthousiasmes et emportements poétiques de votre Homère, Virgile et Horace, qui semblent tenir quelque chose de divin. […] Le vaisseau fit un mouvement de l’arrière comme s’il s’acculait.
Si l’on ajoute aux huit vers cités par Mme Du Deffand et qui sont du chant de L’Automne, quelques vers assez beaux peignant les jours caniculaires de L’Été et cet accablement qui pèse alors sur tous les corps mortels : Tout est morne, brûlant, tranquille, et la lumière Est seule en mouvement dans la nature entière, on aura présent à l’esprit à peu près tout ce qu’il y a d’un peu remarquable pour nous dans ce poème si fort vanté à sa naissance et aujourd’hui tout entier passé. […] Il aurait eu l’épigramme excellente, dit Grimm, s’il ne s’était observé et s’il n’avait réprimé ses premiers mouvements.
Je sais bien que Socrate, en son temps, se détournait des sophistes, des prétendus sages qui raisonnaient à perte de vue sur le principe des choses, sur les vents, les eaux, les saisons ; Socrate avait raison de se passer de la mauvaise physique de son temps, de ses hypothèses ambitieuses et prématurées, pour ne s’occuper que de l’homme intérieur et lui prêcher le fameux « Connais-toi toi-même ». « C’est une grande simplesse, a dit Montaigne tout socratique en ce point, d’apprendre à nos enfants “Quid moveant Pisces…”, la science des astres et le mouvement de la huitième sphère, avant les leurs propres. » À cela je répondrai encore que Montaigne n’avait pas tort de préférer de beaucoup l’étude morale à celle d’une astronomie compliquée et en partie fausse. […] Ceux qui sont venus un peu plus tard ont encore hérité de ce mouvement et de cette impulsion antérieure, et ils en aiment le souvenir.
Je ne vois point ce pays-là des mêmes yeux ; j’y crois démêler des agréments qui peuvent toucher l’esprit ; je n’y vois point ce qui vous choque : j’y vois, au contraire, le centre du goût, du monde, de la politesse, le cœur, la tête de l’État, où tout aboutit et fermente, d’où le bien et le mal se répandent partout ; j’y vois le séjour des passions, où tout respire, où tout est animé, où tout est dans le mouvement, et, au bout de tout cela, le spectacle le plus orné, le plus varié, le plus vif que l’on trouve sur la terre. […] Mirabeau, qui écrit à l’emporte-pièce, lui trouve en quelques endroits le style lâche ; le mot n’est pas poli ; nous le traduirons mieux en disant : c’est une suite, un enchaînement de raisons déduites avec largeur et un peu de complaisance, dans une langue riche, un peu traînante en effet, mais d’une belle plénitude morale, d’une élévation continue, et qui rencontre quelquefois des mouvements d’éloquence.