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698. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Le savant Dübner, dont la perte prématurée est presque irréparable pour les Lettres anciennes, a eu le temps, avant de mourir, de rendre compte de ce premier volume de Virgile de M.  […] L’un de ceux qui succombent est cet Æolus auquel le poète fait une si touchante apostrophe, et qui vient mourir là dans les champs de Laurente, si loin de son berceau, de la maison paternelle qui était à Lyrnèse au pied de l’Ida : Te quoque Laurentes viderunt, Æole, campi Oppetere…………….. […] Ce contraste, naturellement, va se dessiner davantage dans le trépas d’un guerrier né en Phrygie et venant mourir aux champs du Latium. […] Patin m’a souvent fait remarquer qu’une des plus belles épigraphes et des mieux appliquées est celle que M. de Fezensac a mise à l’Histoire de mon régiment pendant la retraite de Russie  ; elle est prise du second livre de l’Enéide : Illiaci cineres et flamma extrema meorum, Testor in occasu vestro nec tela nec ullas Vitavisse vices Danaum, et, si fata fuissent Ut eadorem, meruisse manu…56 « Cendres d’Ilion, incendie suprême, tombeau des miens, je vous prends à témoin que, dans votre ruine, je n’ai rien fait pour éviter les traits des Grecs, ni aucun des hasards funestes, et que si le destin avait été que je tombasse, j’ai tout fait pour mériter de mourir. » — Quelle plus belle manière et plus touchante, pour un soldat, de s’excuser de n’être point mort, d’avoir survécu à un immense désastre !

699. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Né en 1613155, il ne mourut qu’en 1703, à l’âge de plus de quatre-vingt-dix ans. […] Décidément Ninon n’avait que quatre-vingt-cinq ans moins un mois quand elle mourut, cinq années de moins que Saint-Évremond. […] « Ainsi mourut cette duchesse avec une fermeté digne vraiment de l’ancienne Rome, mais qui n’est pas aussi du goût de la nouvelle162. » Or Saint-Évremond, dans sa lettre au marquis de Canaples sur la mort même de la duchesse, disait : « Vous ne pouviez pas, Monsieur, me donner de meilleures marques de votre amitié qu’en une occasion où j’ai besoin de la tendresse de mes amis et de la force de mon esprit pour me consoler. […] Les Anglais, qui surpassent toutes les nations à mourir, la doivent regarder avec jalousie.

700. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

L’amour aussi, la passion qui consume et dont on meurt, c’est toute la légende de Tristan55. […] Blessé, se sentant mourir, il envoie un ami la chercher : si elle veut venir, l’ami dressera une voile blanche sur son vaisseau ; sinon, il le garnira de voiles noires. Mais comme Tristan s’agite, impatient, sur son lit et demande si l’on aperçoit le vaisseau qu’il attend, sa femme, torturée de jalousie, lui annonce un navire aux noires voiles : et il meurt, au moment où débarque la seule, la toujours aimée Yseult, qui se précipite et prie pour lui : « Ami Tristan, quand vous vois mort, Je n’ai droit ni pouvoir de vivre ; Vous êtes mort pour mon amour, Et je meurs, ami, de tristesse, De n’avoir pu venir à temps. » Auprès de lui se va coucher ; Elle l’embrasse, et puis s’étend : Et aussitôt rendit l’esprit.

701. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Et c’est pareillement un coin d’idylle qui fleurit en pleine aridité de la métaphysique amoureuse, quand le poète fait dire à son amant : Je ressemble le paysan Qui jette en terre sa semence, Et il a joie à regarder Comme elle est belle et drue en herbe : Mais avant qu’il en cueille gerbe, Par malheur l’empire et la grève Une male nue, qui crève Quand les épis doivent fleurir : Et fait le grain dedans mourir, Et ravit l’espoir du vilain. […] Les phénomènes passent, les individus meurent : l’espèce seule a de la réalité, seule elle est, parce que seule elle reste. […] Aussi, au formalisme compliqué des pratiques, aux exigences contre nature de la vie monastique, oppose-t-il, dans des vers d’une expression originale et forte, la sainteté laïque qui gagne le ciel, l’idéal de la vie chrétienne dans le monde, qui satisfait à la fois à l’Évangile et à la raison : Bien peut en robes de couleur Sainte religion fleurir : Plus d’un saint a-t-on vu mourir, Et maintes saintes glorieuses, Dévotes et religieuses. […] Mais presque toutes tes saintes Qui aux églises sont priées, Vierges chastes, et mariées Qui maints beaux enfants enfantèrent, Les habits du siècle portèrent ; Et en ceux-là même moururent, Qui saints sont, seront et furent.

702. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Ceux qui en sont atteints n’ont qu’à mourir. […] en même temps il mourait de misère. […] Ils grandiront en dehors du monde officiel, ne songeant même pas à lui faire opposition, le laissant mourir dans son cercle épuisé 200. […] Voilà donc un immense développement, sourdement préparé durant trois siècles en dehors de la politique, grandissant parallèlement à la société officielle, persécuté par elle, et qui, à un certain jour, étouffe la politique, ou plutôt reste vivant et fort, quand le monde officiel se meurt d’épuisement.

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