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619. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Jean Reynaud, ils n’ont pas moins apprécié les trois grandes puissances sur la tête humaine qui se trouvent dans ce livre de Terre et Ciel, et qui en protègent actuellement, la fortune, à savoir : l’appareil des mots scientifiques pour cacher le vide de la pensée, l’effronterie gratuite de l’hypothèse et la majesté de l’ennui ! […] Telle, en deux mots, la conception théologique du livre de M.  […] N’oublions pas que son livre n’est, avant tout et après tout, qu’un essai de cosmologie… Parti du Cosmos, pour aller au Cosmos, en passant sur le Cosmos, l’auteur s’agite, mais stérilement, pour organiser plus qu’un cimetière… Le mot de ciel est de trop dans le titre de son ouvrage, et la terre même, comme il la conçoit, n’est pas la notion chrétienne de la terre. […] Ses longues dissertations dialoguées, que ne brise jamais le moindre mot spirituel, manquent profondément de vie, d’animation, de passion enthousiaste ou convaincue, et elles nous versent dans les veines je ne sais quelle torpeur mortelle. […] Et qu’on nous permette d’ajouter encore un dernier mot.

620. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Dans le titre de son travail je trouve le mot expressif d’exposition abrégée et populaire. […] Toute cette mathématique, voyez-vous, toute cette astronomie, toute cette physique, toute cette chimie, toute cette biologie, toute cette science sociale, pour arriver à être philosophe, c’est-à-dire à savoir deux mots de morale, deux simples mots sur ses devoirs, ah ! […] Disons le mot : il escamotait. […] Comte a donné au matérialisme un habit neuf, dont il avait grand besoin, le pauvre diable (et diable est le mot) ! […] … Est-ce son altruisme, à part le mot que personne ne lui dispute ?

621. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

Magique perspective de la distance qui veloute les lointains dans nos âmes comme dans les horizons, impossibilité de ressaisir ce passé qui, pour l’homme, créature de contradiction, s’embellit à mesure qu’il s’éloigne, talent naturel de coloriste grandi et avivé par l’émotion et par le souvenir, poésie de la famille qui s’ajoute encore à la poésie du passé, sentiments créés et développés par l’intimité domestique, voilà, en quelques mots, ce qui fait la valeur et ce qui fera le succès du livre de Dargaud. […] Leur histoire n’est pas longue et peut s’écrire en quelques mots. […] On peut condenser en un mot la philosophie de ces vingt pages : « Toutes les religions — dit quelque part Dargaud avec une imagination qui l’égare — ressemblent à des nuées obscures à leur base et lumineuses à leur sommet. » Après une pareille conclusion, tout n’est-il pas dit, pour qui sait comprendre ? […] Dargaud, qui a tant d’infini dans le cœur, et qui nous peint si bien (qu’on me passe le mot !) […] La critique écrit le mot du poète : les plaisirs perdus sont les mieux sentis.

622. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Il n’a jamais pris pour lui le mot insolent et cruel, trop accepté, comme tant de mots : « Les Français n’ont pas la tête épique. » Lui, il a toujours cru qu’il l’avait. […] Mais difficilement me refusera-t-on l’honneur d’avoir abordé les grands sujets, composé de vastes ensembles, suivi le fil des immenses labyrinthes, porté le fardeau des hardies inventions, en un mot, tenté les voies qui demandent non pas un essor pindarique d’un moment, mais une aile infatigable pour parcourir, sans se lasser, le champ de l’épopée. […] Il se brisa à plat contre cette langue difficile à manier, quand on n’est pas un poète dans toute la force du mot, et M.  […] Telle est, en peu de mots sans doute, la bourde épique de M.  […] Nous qui savons le prix du temps mieux que lui, nous n’en aurions pas tant parlé, si les lâchetés de l’amitié, des partis et de la camaraderie, n’étaient pas en train de lui arranger une gloire hypocrite et dont on ne pense pas un mot.

623. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

… Ôtez ce coup de guillotine, luisant, maintenant, pour jamais, sur cette tête de Chénier qui renvoie à la guillotine sa lumière ; ôtez le mot immortel : « J’avais quelque chose là », et tout est dit pour l’éternité ; vous n’avez plus rien à raconter. […] Mais ils ont cédé à la pente du temps vers la biographie et l’analyse et leurs doubles curiosités vaines ; car c’est plus pour le poète que pour personne que le mot de Voltaire est vrai : « La vie des écrivains n’est que dans leurs écrits », ce qui retranche d’un seul coup les insignifiances, les futilités et les rapetissements des biographies. […] Goethe, qui n’a pas beaucoup de grands mots à sa charge, en a un superbe, quand il dit qu’on ne sait pas plus comment les poètes s’y prennent pour faire de beaux vers qu’on ne sait comment les femmes s’y prennent pour faire de beaux enfants… Et il a raison, pour cette fois ! […] Il a voulu effacer aussi le mot de Rivarol sur André : « Il fut athée avec délices », craignant que ce mot-là, timbré de Rivarol, le graveur sur diamants, ne restât — timbré de l’homme qui l’avait dit !  […] Ce n’était pas tout à fait le mot de Shakespeare, mais cela le rappelait : « César et le danger sont deux lions mis bas le même jour, mais César est l’aîné et César sortira. » Des deux lions qui avaient rugi la même poésie, André Chénier était l’aîné, et c’était Barbier qui était sorti !

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