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865. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Le poème, dans sa forme primitive, La Mort de Siegfried, date de 1848, ainsi que certains fragments musicaux ; et puisque c’est ce poème qui a suggéré toute la Tétralogie et que les fragments musicaux, quoique fort courts, ont acquis une importance thématique dans le Ring entier, on peut affirmer que l’idée de la Goetterdaemmerung est restée vivante en Wagner. […] La conséquence est que l’homme qui en 1870 commençait à écrire la partition de la Gœtterdaemmerung était un autre que celui qui en 1848 écrivait la Mort de Siegfried ; c’est la différence entre le Beethoven de la symphonie héroïque et le Beethoven de la neuvième symphonie. Nous possédons des documents très complets à ce sujet, car, outre le livret d’opéra, la Mort de Siegfried, il exista, de la même année, une esquisse d’un drame : les Nibelungen. […] La mort de Siegfried expie la faute des dieux ; Brünnhilde s’écrie : « Wotan, réjouis-toi du très libre héros ! […] Dans les seules scènes se rapportant directement à Wotan, la parole apparaît de nouveau et évoque, devant nous, la vision du dieu : ce sont les passages écrits après les autres parties du Ring, et intercalés dans le texte de la Mort de Siegfried.

866. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIIIe entretien » pp. 223-287

L’envie et l’impuissance s’étant accouplées comme le Péché et la Mort dans Milton, il en est sorti ce monstre de décomposition humaine, ce Polyphème qui n’a qu’un œil et des mains, l’homme spécial. […] je poursuis seul notre pèlerinage Aux grands maîtres vivants ou morts que nous aimons ; Guidé par un poète, un ami de mon âge, J’ai pris l’âpre chemin des pâtres sur les monts. […] La fête disparut derrière un cap de roche, Comme soudain la vie au tournant de la mort. […] Les chants du rouge-gorge errant dans l’avenue, Des doux morts envolés adoucissent l’adieu, Et le soleil, glissant des larmes de la nue, Ouvre dans le nuage une échappée en Dieu. […] La chapelle des morts, l’église du village Montent devant ses yeux, au-dessus du feuillage.

867. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 5-64

Ce n’était pas facile, car, pendant que ma zampogne jouait la fête, mon cœur battait la mort et l’enterrement. […] J’essayai de fermer les yeux pour dormir, mais ce fut impossible, monsieur ; plus je fermais mes paupières, plus j’y voyais en moi-même des personnes et des choses qui me donnaient un coup au cœur et des sursauts à la tête : les sbires sortant de derrière les arbres et tirant cruellement, malgré mes cris, sur mon chien et mes pauvres bêtes ; Hyeronimo lâchant sur eux son coup de feu ; le bandit de sbire mort au pied de l’arbre ; Hyeronimo, surpris et enchaîné, conduit par eux au supplice ; mon père aveugle et ma tante désespérée tendant leurs bras dans la nuit pour le retenir et ne retenant que son ombre ; des juges, un corps mort étalé devant eux ; des soldats chargeant leurs carabines avec des balles de fer dans un cimetière ou une fosse, toute creusée d’avance, attendait un assassin condamné à mort ; puis deux vieillards expirant de misère et de faim à côté de leur pauvre chien blessé dans notre cahute de la montagne, puis des ruisseaux de larmes sur des taches de sang qui noyaient toutes mes idées dans un déluge d’angoisses. […] me disais-je, si c’était lui, pourtant, et si le hasard, ou le saint nom du hasard, le bon Dieu, nous avait rapprochés ainsi, dès le second jour, l’un de l’autre, pour nous secourir ou pour mourir du moins ensemble du même déchirement et de la même mort ! […] Je jouai donc l’air à nous deux, avec autant de mémoire que si nous venions de le composer, sous la geôle, et avec autant de tremblement que si notre vie ou notre mort avait dépendu d’une note oubliée sur les trous d’ivoire du chalumeau ; je jetais l’air autant que je pouvais par la lucarne, pour qu’il descendît bien bas dans la noire profondeur de la cour et qu’il n’en tombât pas une note sans être recueillie par une oreille, s’il y avait une oreille ouverte, dans cette nuit et dans ce silence des loges de la prison. […] ma tante, de quoi me servait-il d’avoir découvert où il était et de lui avoir envoyé, du haut d’une tour, une voix de famille de notre montagne, si je n’avais aucun moyen de l’approcher, de le consoler, de le justifier, de le sauver des sbires ses ennemis, sans doute acharnés à sa mort ?

868. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Louis Arnould, professeur à l’Université de Poitiers, essaie de faire revivre ce vieux mort. […] si Jésus venait à passer sur la route déserte, avec quel bonheur on jetterait derrière soi tout ce qui fait le bonheur pour la foule, en quelle extase on suivrait Celui qui serait la voie et la vie, et comme on laisserait indifférent les morts ensevelir les morts… Hélas ! […] Il est mort, et on reste fidèle à sa personne. […] Pour louer des vivants utiles, son inconscience insulte tous les grands morts. […] Il attribue à ce pauvre mort, qui a bien assez de peine à se faire pardonner ses propres péchés, la Moabite, qui est de Paul Déroulède, Monsieur, comme le Menuet est de Fernand Gregh.

869. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Certaines pièces des Contemplations sont inépuisables en dissertations sur la moralité des hommes et les consolations de la mort ; certaines pages des Châtiments lancent et relancent la même insulte en invectives redoublées. […] Enfin qu’il s’agisse de l’effronterie d’un gamin ou d’une vue d’ensemble sur la vie monastique, de la manie d’un ancien capitaine à pronostiquer le temps, ou d’une redoutable crise de conscience, du spectacle funèbre d’un pendu épouvantant ses commensaux ailés des soubresauts dont l’anime le vent dans la nuit sur une plage, ou d’une considération historique sur la Convention, de plaintes sur la mort ou d’exultations sur la vie, M.  […] Une autre catégorie d’œuvres à laquelle ressortissent la plupart des Orientales, la Légende des siècles, une pièce comme les Burgrave s et un roman comme Notre-Dame de Paris, fait se demander par quelle prodigieuse disposition sentimentale, le poète parvient à se faire le porte-voix, presqu’ému, d’une suite de personnes étrangères et mortes, dont il épouse les causes et les passions avec une infatigable versatilité. […] Il proteste contre le suicide, qu’il qualifie de lâcheté, et soutient, contre toutes les statistiques, que l’abolition de la peine de mort et la diffusion de l’instruction diminuent la criminalité (Quatre vents de l’Esprit, pag. 87 et 97). […] Il explique le rictus des cadavres par la joie des morts de rentrer dans le grand tout, et la position des yeux des crapauds par leur désir de voir le ciel bleu.

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