Un homme a été poursuivi de la haine publique pendant quarante ans, au dix-neuvième siècle, parce qu’il avait dit qu’il y a deux morales. […] Pour être tout à fait sérieux, il y a plusieurs formes de moralité, il y a plusieurs manières d’entendre la moralité, et, par conséquent, il y a plusieurs morales. […] La Fontaine n’a été sensible, certainement, à aucune de ces morales-là, ni à aucune de celles que je pourrais énumérer encore. […] Remarquez qu’il arrive quelquefois que l’immoraliste est plus moral que l’amoraliste. […] Mais les hommes qui n’ont aucun sens moral se rachètent… Quelquefois par rien du tout.
Moral et léger, voilà sa visée, et c’est cet entrelacement gracieux qui lui a inspiré le dénouement de son Mariage dans le monde, qui n’est plus un dénouement à la manière du monde, mais un dénouement à la Feuillet. […] Bon an, mal an, cet écrivain, la veine sans déveine, — et qui ne s’ouvre pas les veines pour faire un livre, comme les affreux passionnés du génie, — pond et lèche son petit roman, mondain et moral, à travers la minceur transparente duquel on voit, comme le poisson dans un filet d’eau, la pièce de théâtre qu’il en tirera. […] La passion n’y a pas plus de profondeur que l’observation, et la peinture plus de profondeur non plus que la passion et l’observation, et enfin la morale — car ce roman veut être moral — plus de profondeur à son tour que la passion, l’observation et la peinture. […] X Ainsi, mesquinerie de mœurs, mesquinerie de passion, mesquinerie de sujet, mesquinerie d’enseignement moral, — car l’enseignement moral de ce roman c’est d’apprendre aux femmes à rendre des lettres d’amour compromettantes sans trop de façons, — c’est là ce roman mesquin par tous les côtés à la fois, et dont le grêle talent de Feuillet ne peut pas draper la mesquinerie.
Toutefois, au milieu de ce déchet de la dignité humaine chez les Grecs, dans cet abaissement de la vertu civile qui suivit la conquête d’Alexandre et marqua la domination de ses indignes successeurs en Macédoine, en Égypte, en Syrie, il semble incontestable que, dans l’ordre moral, dans la forme et l’action du sentiment religieux, quelques clartés nouvelles avaient lui, quelques vérités de plus agissaient sur le monde. […] Mais un art nouveau prête un sens moral aux pompes et aux symboles d’une solennité presque étrangère. […] Nul doute que, sans les lacunes faites par la barbarie dans l’héritage des lettres grecques, les traces même purement littéraires de la colonie juive d’Alexandrie ne fussent visibles dans bien des monuments de l’époque Lagide, dans cette foule d’hymnes, de chants religieux et moraux, de poëmes descriptifs qui signalèrent l’imagination laborieuse de ce temps. […] Seulement, à l’aspect du monde physique et moral, le pieux contemplateur est bien obligé de reconnaître qu’à la suite de Dieu marchent la guerre et la famine, tous ces maux si communs dans l’univers, et qui, selon l’expression du livre des Machabées, après la mort d’Alexandre se multipliaient sur la terre. Mais, satisfait de cette restriction, il ne pénètre pas plus avant dans le problème du mal physique et moral à faire coexister avec la bonté divine, et dans celui de la liberté de l’homme à concilier avec la prescience suprême.
Le sens moral et tendre de la danse exécutée par la danseuse arabe est interprété avec grâce, avec chasteté et mesure. […] C’est ainsi encore qu’en plein désert, durant une nuit caniculaire, il dira : « L’heure était si belle, la nuit si tranquille, un si calmant éclat descendait des étoiles, il y avait tant de bien-être à se sentir vivre et penser dans un tel accord de sensations et de rêves, que je ne me rappelle pas avoir été plus satisfait de ma vie… » Un si calmant éclat, voilà encore un effet moral qui devient une nuance pittoresque, et la beauté du son, sa largeur, s’y joint pour compléter l’impression. […] Il y a de ces épithètes moitié morales, moitié naturelles, essentiellement poétiques, qui font entrer dans le secret des choses et en éveillent le sentiment intime en nous. […] Il ne faut pas abuser, sans doute, de cette fusion du moral dans le naturel ; il faudrait encore moins se l’interdire et s’en tenir systématiquement à la couleur toute pure.
— C’est en ce sens que Buffon disait : « Je n’estimerais pas un jeune homme qui n’aurait point comme ncé par l’amour. » Quelqu’un de très-spirituel l’a dit encore : On doit faire dans la vie comme pour un voyage ; il faut toujours se mettre en route avec trop de provisions, au moral aussi ; on ne saurait être trop en fonds au départ, on a bien assez d’occasions de perdre et de dépenser. […] Or, dans ces extraits de correspondance de Benjamin Constant qui ont été publiés, on a pu apprécier et peser le bagage du jeune homme au début, évaluer la quantité de fonds, au moral, qu’il emportait en se mettant en route dans la vie. […] » Prolonger de telles situations, les créer par amusement, tout en se flattant d’avoir trois cœurs, c’est le sûr moyen de n’en avoir bientôt plus un ; à un tel régime la sensibilité véritable s’épuise, la volonté se ruine et s’use, l’être moral intérieur arrive vite à un complet délabrement. […] « Adieu. » Nous aurions bien, si nous le voulions, à ajouter quelques petites choses encore ; il serait facile, à l’aide du carnet dont on a parlé, de contrôler, sans trop de désavantage, quelques-unes des pièces les plus triomphantes dont s’est armé M.de Loménie, ou du moins les inductions morales dont elles lui ont fourni le thème ; mais qui oserait le poursuivre de ce côté gracieux ?