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858. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Il travaillait ces amusements de son loisir avec un soin particulier, et il n’était content que lorsqu’il les avait amenés à perfection : « Toucher et retoucher, dit-il quelque part, bien qu’il y ait des écrivains qui se targuent de négligence, et d’autres qui rougiraient de montrer leurs brouillons, est le secret de presque tous bons écrits, particulièrement en vers. » — « Tout ce qui est court, dit-il encore, doit être nerveux, mâle et concis. […] Le printemps le dissipait trop pour qu’il pût beaucoup s’y recueillir ; il aimait mieux en profiter avec l’abeille et avec l’oiseau : mais les soirs d’hiver, près de son intelligente et silencieuse amie, dans ce doux confort domestique qu’il a si bien exprimé, ayant là près de lui la bouilloire qui chante, et la tasse pleine de cette liqueur « qui égaye et qui n’enivre pas », il s’appliqua pour la première fois à traiter en vers d’assez longs sujets, tout sérieux d’abord et presque théologiques, qui montrent, à leur titre seul, le fond de ses pensées : Le Progrès de l’erreur, La Vérité, L’Espérance, etc. […] Tous ces gens-là lisent le Monthly Review, et tous me tiendront pour une bête si ces terribles critiques leur en montrent l’exemple.

859. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

Quand on sut que le jour était fixé, le roi dit tout haut : « On reçoit M. de Noyon lundi à l’Académie, je m’attends à être seul ce jour-là. » M. de Noyon, qui voulut se surpasser dans sa harangue ou du moins se montrer égal à lui-même, commença par un exorde des plus singuliers et tout à fait amphigourique. […] L’orateur ne montrait pas seulement la maison d’Autriche abaissée et réduite aux abois, mais encore les éléments soumis et assujettis par ce génie supérieur des quatre éléments, toutefois, un seul était pris au propre, l’eau de la mer retenue par la digue de La Rochelle ; les autres éléments ne figuraient qu’à l’état métaphorique : c’était le feu de la rébellion éteint avec celui de l’hérésie ; c’était l’air devenu plus serein, et la terre étonnée de tant de prodiges. […] » Je retire donc ma remarque, et si je laisse l’endroit, c’est pour montrer combien nos jugements rapides sont incertains et pour avertir que je ne livre mes conjectures que sous bénéfice d’inventaire.

860. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Et il lui cite l’exemple de Voltaire ; ne croyez pas que ce soit comme une preuve éclatante et rare de la gloire littéraire ; il le lui cite pour lui montrer le néant de cette gloire contestée et troublée des grands écrivains : « Je songe quelquefois à Voltaire, dont le goût est si vif, si brillant, si étendu, et que je vois méprisé tous les jours par des hommes qui ne sont pas dignes de lire, je ne dis pas sa Henriade, mais les préfaces de ses tragédies. » Racine, Molière, « qui sont pourtant des hommes excellents », n’ont pas été plus heureux pendant leur vie ; ils n’ont pas joui plus paisiblement de la renommée due à leurs œuvres : « Et croyez-vous que la plupart des gens de lettres n’en eussent pas cherché une autre, si leur condition l’eût permis ?  […] Il tient surtout dans sa lettre (car nous en sommes toujours à cette même lettre décisive, où il se découvre) à bien montrer à Mirabeau qu’on peut désirer de sortir d’une condition médiocre et d’arriver à une grande situation, par de grands motifs et sans du tout abjurer la hauteur des sentiments : Il y a des hommes, je le sais, qui ne souhaitent les grandeurs que pour vivre et pour vieillir dans le luxe et dans le désordre, pour avoir trente couverts, des valets, des équipages, ou pour jouer gros jeu, pour s’élever au-dessus du mérite et affliger la vertu, et qui n’arrivent à ce point que par mille indignités, faute de vues et de talents : mais, de souhaiter, malgré soi, un peu de domination parce qu’on se sent né pour elle ; de vouloir plier les esprits et les cœurs à son génie ; d’aspirer aux honneurs pour répandre le bien, pour s’attacher le mérite, le talent, les vertus, pour se les approprier, pour remplir toutes ses vues, pour charmer son inquiétude, pour détourner son esprit du sentiment de nos maux, enfin, pour exercer son génie et son talent dans toutes ces choses ; il me semble qu’à cela il peut y avoir quelque grandeur. […] Ils sortent l’un et l’autre de ce conflit amical sans s’être convaincus, l’un décidé à se montrer plus absolu et plus bourru que jamais, l’autre n’aspirant qu’à être étendu et conciliant : Vous croyez qu’il dépend de nous de nous former un caractère, et vous ne donnez qu’une route et qu’un objet à tous les esprits ; moi, je voudrais que chacun se mesurât à ses forces, que l’on consultât son génie, qu’on s’étudiât à l’étendre, à l’orner, à l’embellir, bien loin de le contraindre ou de l’abandonner.

861. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Voilà le second ministre (l’autre était M. de Seignelai) que vous voyez mourir depuis que vous êtes à Rome ; rien n’est plus différent que leur mort, mais rien n’est plus égal que leur fortune et leurs attachements, et les cent mille millions déchaînés qui les attachaient tous deux à la terre. » Elle ne croyait donc pas, quand elle écrivait ceci et qu’elle le montrait si ancré et comme rivé au sommet de la fortune, que cette mort soudaine n’eût fait que le sauver d’une disgrâce. […] Tout compté, si trop souvent il s’est montré dur, cruel, sans scrupule dans l’exécution, il a rendu en somme un éminent service à l’État, et même, on l’ose dire, à l’humanité, en organisant cette chose sauvage, la guerre : il l’a, jusqu’à un certain point, moralisée. […] Vauban doit à Louvois ce que tout homme de talent prise le plus, l’occasion de montrer au grand jour ses talents.

862. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

Ce qu’on a appelé ses Œuvres et ses Mémoires, et qui ont été remis en lumière récemment47, nous le montrent dès 1661, et dans les années qui précédent la guerre de 1667, déjà formé par l’âme et le caractère. […] Rousset, commentant ce même endroit, l’a été également, que j’ai lieu de m’étonner qu’ensuite il ne ménage pas plus les expressions au sujet d’un roi magnanime ; qu’il se plaise parfois à le montrer dans un embarras qui touche au comique (tome Ier, p. 418) ; qu’il parle de ses éruptions de vanité, et pour un projet dans lequel il le surprend au dépourvu, projet un peu trop ambitieux, mais qui a grand air, il s’égaye de ce qu’il appelle sa déconvenue (tome Ier, p. 419) ; qu’enfin, pour l’avoir surpris, un autre jour, dans une grande variation d’ordres et de contre-ordres donnés coup sur coup (tome Ier, p. 489), il se moque tout à fait de lui. […] Son bon esprit et sa fermeté, ajoute le témoin, ne font pas abandonné un instant, et, en parlant avec douceur et bonté à tous ceux à qui il a bien voulu parler, il a conservé toute sa grandeur et sa majesté jusqu’au dernier soupir. » En un mot, Louis XIV s’est montré roi jusqu’à la fin, avec la conscience et le respect de son rôle qui n’était pas un rôle pour lui, mais qui était un ministère.

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