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821. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Galiani avait écouté patiemment toute cette dissertation intrépide ; enfin, lassé de voir tout ce monde ne prendre qu’un seul côté de la question, il dit : Messieurs les philosophes, vous allez bien vite. […] Voilà bien nos philosophes pris sur le fait, les voilà, comme tous les épicuriens du monde, faisant des questions les plus graves de la destinée et de la morale humaine un spectacle, une pure joute de loisir où le pour et le contre se traitent également à la légère, et tout étonnés ensuite (je parle de ceux qui survécurent, comme l’abbé Morellet) si, un jour, toutes ces théories de huis clos viennent à éclater, et, en tombant dans la rue, à se résumer sur la place de la Révolution dans les fêtes de la Raison et autres déesses. […] Quand Mme Geoffrin tomba malade, en 1776, à la suite des excès de dévotion qu’elle avait commis, disait-on, pendant les exercices du Jubilé, Galiani écrivait à Mme d’Épinay : J’ai rêvé sur cette étrange métamorphose (de Mme Geoffrin), et j’ai trouvé que c’était la chose du monde la plus naturelle. […] Ce qu’on sent trop d’ailleurs dans ces Dialogues, et ce que Galiani a pris soin plus tard de nous confirmer en toutes lettres, c’est que son Chevalier Zanobi, qui représente l’auteur, « ne croit ni ne pense un mot de tout ce qu’il dit ; qu’il est le plus grand sceptique et le plus grand académique du monde ; qu’il ne croit rien en rien, sur rien de rien ». […] Chérissez donc l’imprimerie ; c’est votre lot dans ce bas monde.

822. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

Mais ces rapports, que je ne fais qu’indiquer, se dessineront mieux par une étude précise des deux caractères ; aujourd’hui je veux simplement montrer ce qu’étaient au juste Mme de Lambert et son monde. […] Quelle put être l’influence du monde de son beau-père sur la jeune personne, on le suppose aisément, mais on est réduit à le deviner. […] Mariée en 1666 au marquis de Lambert, officier de mérite qui devint plus tard lieutenant-général, et dont le père l’avait été, elle entra dans un monde plus conforme à ses instincts élevés, et elle ne garda de son premier entourage que le goût très vif des choses de l’esprit. […] Elle fut très considérable à ses origines et dans les premiers temps de son institution : le monde et la littérature, malgré quelques révoltes çà et là, reconnurent en elle la régulatrice de la langue et du bel usage, et même un tribunal souverain du goût. […] Ceux mêmes qui ne sont pas assez heureux pour croire comme ils doivent, se soumettent à la religion établie : ils savent que ce qui s’appelle préjugé tient un grand rang dans le monde, et qu’il faut le respecter.

823. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

La lecture de Robinson fut pour lui un événement ; lui aussi, il cherchait en imagination son île, mais bientôt ce ne fut plus une île solitaire, il s’y donnait des compagnons ; il la peuplait à son gré d’un monde choisi, dont il se faisait le législateur pacifique : car il était ambitieux, et son penchant le portait naturellement ou à s’isoler ou à se donner le beau rôle. […] Il concevait dans sa tête et portait partout avec lui un monde d’ordre et d’harmonie, une espèce d’Éden ou d’âge d’or, duquel il ne voulait absolument pas se départir et qu’il s’obstinait à réaliser au milieu des désaccords de tout genre qui l’offensaient. […] Il s’occupa de rédiger son Voyage ; il vit quelques gens de lettres, Rousseau, d’Alembert ; il eut quelque temps du succès dans le monde des encyclopédistes. […] Je n’ai pu toutefois parvenir à fixer le moment précis de la grande crise nerveuse de Bernardin, quand il se montre à nous (préambule de L’Arcadie) frappé d’un mal étrange, sujet à des éclairs qui lui sillonnent la vue, voyant les objets doubles et mouvants, et, dès qu’il rencontrait du monde dans les jardins publics et dans les rues, se croyant entouré d’ennemis et de malveillants. […] Mon ami, vous vous êtes trop séquestré du monde ; vous ne connaissez plus ni les hommes ni la marche des affaires.

824. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Telle était la mode, tel était l’être humain : les hommes ressemblaient aux peintures ; le monde s’était moulé dans l’art. […] Henri Monnier a fait beaucoup de bruit il y a quelques années ; il a eu un grand succès dans le monde bourgeois et dans le monde des ateliers, deux espèces de villages. […] Il a mis le monde sens dessus dessous. Au fait, n’a-t-il pas composé un livre d’images qui s’appelle Le Monde à l’envers ? […] D’autres fois, quand sa pensée cynique se dévoile franchement, elle endosse un vêtement gracieux, elle caresse les préjugés et fait du monde son complice.

825. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Sang est le siege de l’ame ; pourtant ung seul labeur poine ce monde, c’est forger sang continuellement. […] On peut même dire que le sort de Montaigne a été d’être toujours mieux apprécié à mesure que le monde a grandi. […] Votre mort est une des pieces de l’ordre de l’univers ; c’est une piece de la vie du monde. […] Si elle tenoit et estoit plantee par une attache divine, chose du monde ne nous en pourroit esbranler. […] En général, la modération ne fait pas trop fortune dans ce monde.

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