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2157. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Il lui fallait un homme mixte, mêlé de sacerdoce et de monde, aussi capable de ménager la vertu scrupuleuse du pape, sincèrement religieux, que de concéder au pouvoir dominateur et absolu de l’empire et du conquérant ce que Dieu lui-même commande à ses ministres de céder à ceux auxquels il donne l’autorité irrésistible du champ de bataille. […] C’était déjà la puissance qui dictait la loi au monde. […] Il n’y eut rien au monde qu’il ne tentât pour m’amener à persuader aux autres d’intervenir ou tout au moins, — car il m’entendait répéter que cela n’était pas possible, — à intervenir moi-même. […] Tous les yeux se tournèrent sur les treize cardinaux que l’on mettait à la porte ; ils traversèrent ainsi la dernière antichambre, les autres qui précédaient et qui étaient remplies de monde, les salles et le grand vestibule. […] Les cardinaux rouges sont restés à Paris, et l’on dit qu’ils fréquentent le grand monde. » Lamartine.

2158. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxve entretien. Histoire d’un conscrit de 1813. Par Erckmann Chatrian »

Ils étaient passés commandants, colonels, généraux, un sur mille, à force de batailler dans tous les pays du monde. […] Catherine et moi nous allions derrière, dans le verger ; nous mordions dans les mêmes pommes et dans les mêmes poires ; nous étions les plus heureux du monde. […] J’entendais les sanglots déchirants de Catherine étendue à terre, et les malédictions de la tante Grédel, — ses cheveux gris défaits, — criant qu’il n’y avait plus de justice… qu’il vaudrait mieux pour les honnêtes gens n’être jamais venus au monde, puisque Dieu les abandonne ! […] Enfin la queue de tout ce monde arriva. […] Goulden, qui nous aimait comme ses enfants, m’avait mis de moitié dans son commerce ; nous vivions tous ensemble dans le même nid : enfin, nous étions les plus heureux du monde.

2159. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Sa folie, au lieu de se chercher des motifs de souffrance dont elle est à peine dupe elle-même, eût réussi à se tromper et à nous tromper en s’appuyant sur tout un système du monde et de la vie. […] Denaud et sa maîtresse tuèrent, l’un sa femme, l’autre son mari, afin de pouvoir, en se mariant, sauver leur réputation dans le monde. « Je ne redoute pas la haine, disait Lacenaire, mais je crains d’être méprisé. » Et sa condamnation à mort lui causa moins d’émotion que la critique de ses vers. […] Au dix-huitième siècle, la littérature ayant acquis avec les Voltaire et les Rousseau un empire presque sans bornes, une hégémonie politique et sociale, les littérateurs commencèrent à se considérer comme les nouveaux souverains du monde. […] L’analyse de soi n’a de valeur qu’en tant que moyen de se dépasser soi-même, de se projeter en quelque sorte dans ce monde qui nous enveloppe, de le découvrir enfin, fût-ce en la plus infime mesure. […] La troisième cause, c’est qu’en s’attaquant à de pareils sujets il est aisé d’obtenir un succès de scandale ; on excite la curiosité, sinon l’intérêt ; un bateleur montre aux spectateurs ébahis un veau à deux têtes, mais si son veau, fût-il le plus joli du monde, n’avait qu’une tête, il n’obtiendrait aucun succès.

2160. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Et puis, qui s’est jamais avisé de montrer la religion, la vérité, la justice, les êtres les plus vénérables, les êtres du monde les plus anciens, sous des simboles aussi puérils ? […] (bonne leçon pour vous, époux de Paris, époux de tous les lieux du monde. […] Et puis les deux figures, surtout celle-cy, ont un caractère domestique et commun qui ne convient guère à des natures idéales, abstraites, simboliques, qui devroient être grandes, exagérées et d’un autre monde ; une femme qui compose, n’est pas la poésie ; une femme qui médite, n’est pas la philosophie. […] Il a vu tous ses personnages sur la toile aussi plats qu’il les auroit vus sur le théâtre du monde, si bonne nature et bonne fortune ne s’y fussent opposées ; et La Grenée l’a bien secondé. […] Je veux, mon cher Naigeon, que vous réserviez votre bile et votre fureur, pour les dieux, pour les prêtres, pour les tyrans, pour tous les imposteurs de ce monde.

2161. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Parce que les solides, étant les corps sur lesquels nous avons le plus manifestement prise, sont ceux qui nous intéressent le plus dans nos rapports avec le monde extérieur, et parce que le contact est le seul moyen dont nous paraissions disposer pour faire agir notre corps sur les autres corps. […] De là deux mondes différents, incapables de communiquer autrement que par un miracle, d’un côté celui des mouvements dans l’espace, de l’autre la conscience avec les sensations. […] C’est ainsi que les mille positions successives d’un coureur se contractent en une seule attitude symbolique, que notre œil perçoit, que l’art reproduit, et qui devient, pour tout le monde, l’image d’un homme qui court. […] On les a d’ailleurs vidées, dans cette opération, d’une partie de leur contenu ; après avoir fait converger tous les sens vers le toucher, on ne conserve plus, du toucher lui-même, que le schème abstrait de la perception tactile pour construire avec lui le monde extérieur. […] Habituée à chercher son point d’appui dans un monde d’images toutes construites, immobiles, dont la fixité apparente reflète surtout l’invariabilité de nos besoins inférieurs, elle ne peut s’empêcher de croire le repos antérieur à la mobilité, de le prendre pour point de repère, de s’installer en lui, et de ne plus voir enfin dans le mouvement qu’une variation de distance, l’espace précédant le mouvement.

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