Cette révolution n’est pas sans conséquence pour la littérature : car les artistes et les littérateurs ne sont plus deux mondes fermés, inconnus l’un à l’autre. […] Il a formé des plans de grands poèmes qui s’appelaient la Superstition, l’Astronomie, l’Amérique, l’Hermès : l’Amérique devait contenir « toute la géographie du globe » et « le tableau frappant et rapide de toute l’histoire du monde », considérée du point de vue de la tolérance et de la philosophie ; c’était un Essai sur les mœurs en vers. […] Le Chénier qu’elles nous offrent est un homme du monde, qui n’a que des sens, qui court après « le plaisir », et ne spiritualise point l’amour.
Les sciences du monde extérieur sont ainsi devenues le seul type de la science… Mais l’unité des sciences physiques et des sciences morales n’est qu’un postulat. […] Il en est ainsi, au reste, dans les sciences mêmes du monde physique. […] Pourtant, Messieurs, je ne veux rien exagérer, l’absolu n’est pas de ce monde-ci, notre liberté n’est pas absolue.
Si l’on veut atteindre ce monde mystérieux des causes, il est y nécessaire de sortir de l’œuvre dans laquelle nous sommes jusqu’à présent restés enfermés. […] Lorsque Lamartine18 écrit : « C’est Ossian, après le Tasse, qui me révéla ce monde des images et des sentiments que j’aimai tant depuis à évoquer avec leurs voix… Ossian fut l’Homère de mes premières années ; je lui dois une partie de la mélancolie de mes pinceaux… » — voilà une filiation poétique qu’il serait désormais bien hardi de contester. […] Mais si l’on sait que c’est une réponse ironique à Rousseau20, une façon de réfuter quelqu’un qui vous crie : Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, — ce n’est plus qu’un tableau poussé volontairement au noir pour servir de repoussoir à un tableau trop poussé au rose.
Par son caractère compréhensif, elle est comparable à la loi d’attraction dans le monde physique. […] La perception du monde extérieur n’est pas un état purement passif, où l’esprit ressemblerait à un miroir reflétant fatalement les objets. […] Il est conforme aux données des sciences de croire que ce monde matériel, pris en lui-même, ne ressemble nullement aux perceptions que nous en avons : ce qui condamne le réalisme vulgaire.
Cependant vous entrez déjà dans un monde nouveau, dans le monde de la Révolution, représenté d’abord par l’école constitutionnelle. […] Il nous apprend « que toutes choses ne sont pas dans le monde comme elles devraient l’être. » Il nous assure que lorsque le peuple aura le suffrage universel, « les enfants ne demanderont plus à leurs pères le pain qui leur manque et que le vieillard rassasié de jours se réjouira dans le pressentiment intime et mystérieux d’un nouveau printemps et d’une nature nouvelle. » Les seules idées qui aient un peu de corps dans ces écrits sont celles qu’il emprunte à l’école socialiste, école plus riche en penseurs que l’école démocratique, et qui précisément à cette époque commençait à s’allier à elle.