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1139. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

les pauvres Indiens prennent leurs vieux parents dans leurs bras ; les femmes chargent leurs enfants sur leurs épaules ; la nation se met enfin en marche, emportant avec elle ses plus grandes richesses. […] Quand tout fut passé, les chiens s’approchèrent du rivage ; mais ils refusèrent d’entrer dans le bateau et se mirent à pousser des hurlements affreux : il fallut que leurs maîtres les amenassent de force. […] Je ne puis vous exprimer, mon cher Charles, dans quelle horrible situation cette découverte m’a mis. […] Non, je ne vous crois pas un orgueilleux, un ambitieux ; je mets, il est vrai, moins de prix que vous à l’opinion, c’est-à-dire à l’opinion du grand nombre ; car l’opinion du petit nombre, c’est-à-dire des juges éclairés, est ce qu’il y a de plus digne d’être ambitionné : c’est la vraie gloire. […] Ainsi, je suis avec vous lorsque vous vous imposez de ne pas laisser aller une idée avant que vous l’avez mise dans tout son lustre ; et ce lustre, c’est la clarté, la simplicité, la concision, la pureté et la plénitude de l’expression ; ce qui fait enfin que ce qu’on dit, c’est précisément ce qu’on a voulu dire.

1140. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Mais ces sortes d’adhésions, pour être valables et sincères, ne doivent se manifester que dans leur temps, et, jusqu’à cet invincible éclat intérieur, on n’y saurait mettre en paroles trop de mesure, je dirai même trop de pudeur. […] Encore la masse scolastique du clergé et la coterie intrigante, ce qui tenait à la Sorbonne défunte ou à l’antichambre, se mit à s’effrayer, et, par intérêt ou routine, mitigea singulièrement ses précédents éloges, s’acheminant peu à peu à les rétracter. […] Sa première enfance jusqu’à huit ans fut extrêmement vive et pétulante, il mettait en émoi tous ses camarades du même âge par ses malices, ses saillies et ses jeux. […] Il commença de s’appliquer au latin, mais bientôt les événements de la Révolution le privèrent de maîtres ; il était à peine capable de sixième ; son frère, un peu plus avancé que lui, le guida pendant quelques mois et le mit presque tout de suite aux Annales de Tive-Live. […] Mais, ayant été placé chez un curé du pays vers l’âge ordinaire de la première communion, les développements qu’il entendit éveillèrent sa contradiction sur quelques points ; l’amour-propre se mit en jeu ; les arguments philosophiques qu’il avait lus lui revenaient en mémoire.

1141. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Que si maintenant, à la hauteur relative où telle famille d’esprits peut s’élever dans l’intelligence d’un poëme, il ne se rencontre pas une qualité correspondante qui soit comme une pierre où mettre le pied, comme une plate-forme d’où l’on contemple tout le paysage, s’il y a là un roc à pic, un torrent, un abîme, qu’adviendra-t-il alors ? […] Âgé de quatre ans, il fut confié aux soins de son grand-père maternel, qui le mit très-jeune au collège à Beauvais ; et après la mort du vieillard, il passa à Port-Royal-des-Champs, où sa grand’mère et une de ses tantes s’étaient retirées. […] Ses liaisons avec des jeunes gens aimables et dissipés, avec l’abbé Le Vasseur, avec La Fontaine qu’il connut dès ce temps-là, le mirent plus que jamais en goût de poésie, de romans et de théâtre. […] Cette pièce de Bérénice fut commandée à Racine par Madame, duchesse d’Orléans, qui soutenait à la cour les nouveaux poëtes, et qui joua cette fois à Corneille le mauvais tour de le mettre aux prises, en champ-clos, avec son jeune rival. […] Hippolyte amoureux ressemble encore moins à l’Hippolyte chasseur, favori de Diane, que Néron amoureux au Néron de Tacite ; Phèdre reine mère et régente pour son fils, à la mort supposée de son époux, compense amplement Junie protégée par le peuple et mise aux Vestales.

1142. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Ne pouvant en même temps se dissimuler l’état d’infirmité où il était lui-même, il les exhortait à ne se plus considérer comme des enfants, mais comme des hommes ; car il prévoyait que les circonstances où ils allaient se trouver les réduiraient bientôt à la nécessité de mettre à l’épreuve leurs talents et leurs moyens personnels. « On attend à toute heure l’arrivée d’un médecin de Milan, leur dit-il ; mais pour moi, c’est en Dieu seul que je mets ma confiance. » Soit que le médecin ne fût pas arrivé, ou que le peu de confiance que Pierre avait dans ses secours fût bien fondé, environ six jours après, le premier jour d’août de l’année 1464, Côme mourut, à l’âge de soixante et quinze ans, profondément regretté du plus grand nombre des citoyens de Florence, qui s’étaient sincèrement attachés à ses intérêts, et qui craignaient que la tranquillité de la ville ne fût troublée par les dissensions qui allaient probablement être la suite de ce triste événement. […] Au reste, l’idée mise en avant par Alberti est appuyée d’une érudition si étendue et si variée, que son commentaire dut être extrêmement amusant pour ses jeunes auditeurs. […] Entraîné par cette illusion, je me mis à considérer combien était cruelle la destinée de ceux qui l’avaient aimée ; ensuite j’examinai s’il y avait dans cette ville quelque autre dame qui méritât tant d’honneurs et de louanges, et je pensai à la félicité dont jouirait un mortel assez heureux pour rencontrer un objet si digne de ses vers. […] Quoique ses observations fussent souvent fines et piquantes, elle y mettait tant de réserve et de modération, que jamais on ne s’en offensait. […] Laurent fonda Livourne et la marine toscane, et mit sous les auspices de la religion le commerce de son pays ; il plaça sur la flotte douze jeunes gens des premières familles de Florence, et séduisit les grands seigneurs ottomans par la magnificence de ses présents : l’Égypte et ses trésors s’ouvrirent ainsi devant lui ; il prit à bail toutes les mines d’Italie et s’empara ainsi, en bénéfice, de tous les immenses revenus intérieurs.

1143. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Pour la direction des consciences du monde poli, l’Art d’aimer fut mis souvent en français : Chrétien de Troyes même s’y était essayé91. […] Guillaume de Lorris ne se fit pas scrupule de mettre à profit l’œuvre de ses devanciers. […] Jean de Meung n’aperçoit pas que sa pensée le met hors de l’Église, et en ruine les fondements. […] Volontiers, comme ils feront souvent, il met toute l’orthodoxie dans la foi ; et toute la foi dans la charité, la bonne volonté, la vertu. […] Jean de Meung ne s’est pas toujours contenté de mettre en vers la philosophie : il lui est arrivé de faire vraiment de sa philosophie une poésie.

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