Avec l’éternelle matière des propos mondains, celle que fournissent les nouvelles du jour, les médisances et les scandales, on s’occupe fort de démêler, d’analyser les sentiments, d’en distinguer les nuances et les sources, de ceux surtout qui sont d’un usage journalier dans la vie sociale, amour-propre, amitié, amour surtout ; on débat le sens et la beauté des mots ; on prend pour thème parfois quelque ouvrage nouveau dont on a entendu lecture, une lettre ou une dissertation de Balzac, ou bien, un certain jour, le Polyeucte de Corneille, dont la dévotion ne plaît guère. […] Il fut difficile aussi de parler à ce public de ce qui n’était pas lui : et par là la matière littéraire se restreignit encore ; l’homme, mais l’homme de la société, soumis aux rapports, aux lois, aux accidents sociaux, ayant affaire un peu a Dieu, beaucoup aux hommes, nullement à la nature, fut l’original nécessaire de tous les portraits.
Enfin, les partisans du drame bourgeois, qui tire son tragique du même fonds d’où la comédie tire son ridicule, c’est-à-dire de la société et des mœurs du temps, pourraient en trouver la première théorie dans Corneille, tant ce grand homme avait approfondi la matière du poème dramatique. […] Il a fait, en un mot, toutes les choses autrement que son devancier, non pour rendre sa pièce plus vraie, mais pour ne pas ressembler à Mairet ; tant il est vrai qu’il voyait dans le sujet, non pas un événement vrai ou vraisemblable qui s’accomplit par un enchaînement de circonstances invincibles, mais une matière à pétrir, à laquelle le poète est libre de donner toutes les formes, pourvu qu’on y voie la marque de l’inventeur.
Comme il voyait l’honnêteté de ma nature, la pureté de mes mœurs et la droiture de mon esprit, l’idée ne lui vint pas un instant que des doutes s’élèveraient pour moi sur des matières où lui-même n’en avait aucun. […] Esprit faible, prétentieux et fat, incapable de penser et de réfléchir par lui-même, d’ailleurs ignorant et sans connaissances d’aucune sorte sur aucun sujet, il oppose, à son malheureux père, des foules de difficultés contre la morale, la religion, et le christianisme en particulier, comme s’il avait le droit d’avoir une opinion sur des matières dont l’étude demande tant de lumières et consume tant d’années.
En matière politique, il se trahit par des satires voilées, par des projets de réformes, par une riche floraison d’utopies. […] Il me suffit de constater que les aspects inattendus pris par le travail moderne offraient et offrent encore à la verve des écrivains une riche et nouvelle matière.
Une statue polychrome, ainsi, ressemble trop, par sa matière, aux modèles qu’elle recrée : dès lors nous ne pouvons la recréer vivante : nous songeons involontairement que, si ressemblante de matière à un homme réel, cette statue a sur lui une infériorité ; le défaut de ne se point mouvoir.