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511. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

… Dieu ne manque jamais de punir ces brutaux épicuriens, et l’on ne saurait manquer d’attendre de lui telle justice. […] Si, sur ces entrefaites, son ami l’incomparable M. de Saumaise écrit « en faveur du roi d’Angleterre contre les Anglais qui lui ont coupé la tête », Gui Patin en parle comme ferait un pur et un fidèle : « Pour les Anglais, si vous en exceptez un petit nombre d’honnêtes gens, je leur souhaite autant de mal qu’ils en ont fait à leur roi. » Si son autre ami, et bien plus intime, Gabriel Naudé, écrit en faveur de Mazarin son volume dit Le Mascurat, il prend sur lui de ne point blâmer le livre, mais il fait aussitôt ses réserves en ajoutant : « C’est un parti duquel je ne puis être ni ne serai jamais. » La première Fronde, même après qu’elle est terminée et manquée, a tout son assentiment et son éloge : « Ceux qui décrient le parti de Paris en parlent avec passion et ignorance : c’est un mystère que peu de monde comprend. […] Par malheur, le graveur le manque, et la ressemblance ne le satisfait point. […] C’est un trait de plus dans le portrait de Gui Patin que ce dédain pour les personnes du sexe au moment où elles s’établissaient plus généralement dans la société, et où elles allaient y introduire ce qui surtout lui manquait, à lui et aux autres savants cantonnés dans les corps, je veux dire la politesse.

512. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

Un de ses principes (car Villars a des principes, et sous son fracas il a le fond), c’est « qu’à la guerre, comme dans toute autre matière importante, il est dangereux de n’avoir qu’un objet, parce que, si on le manque, on se trouve sans vues et sans desseins, et par conséquent dans une inaction ruineuse ». […] Il manqua à ce qu’on attendait de lui, cette fois, et d’autres encore ; mais Villars fit tout ce qu’il fallait et ce que Catinat estimait impossible, et en définitive il réussit. […] L’électeur a manqué au rendez-vous ; il n’a pas fait un pas dans ce sens, et n’a pas établi le concert indispensable. […] Je serai plus circonspect à l’avenir, et je ressens une vive douleur de m’en être écarté… Quand on lit la suite de ses lettres, il semble toutefois que les bonnes raisons pour la conduite qu’il tint alors ne lui ont pas tout à fait manqué. […] La lettre à Chamillart du 27 mars 1703, où on lit ces mots, est capitale pour la connaissance morale de Villars ; elle met à nu son cœur à ce moment, et elle nous le découvre même avec une naïveté qui, ce me semble, ne saurait manquer de plaire.

513. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Walckenaer, et qui n’a qu’un défaut, c’est de n’être pas finie : il y manque les années de Saint-Évremond à l’étranger. […] Cousin, qu’au moment où Mme de Sablé réfutait cette idée, que l’amitié est une sorte de trafic, La Rochefoucauld n’avait pas encore publié ses Maximes ni celle-ci en particulier, et probablement qu’il n’en était pas encore coupable ; mais, de plus, que, depuis 1647, il y avait en circulation dans la société un petit écrit volant de Saint-Évremond touchant cette maxime qu’on ne doit jamais manquer à ses amis, et dans lequel on lisait en toutes lettres : « Cependant il est certain que l’amitié est un commerce ; le trafic en doit être honnête ; mais enfin c’est un trafic. […] Ce lutin a trop manqué à Saint-Évremond. […] Enfin, pour être et paraître quelque chose de plus, pour pousser ses essais jusqu’à l’œuvre, pour porter son esprit jusqu’au talent, il n’a manqué à Saint-Évremond qu’un enthousiasme, une ambition, une illusion, un mobile : il en faut aux plus heureuses natures. […] Saint-Évremond, écrivant de Londres à l’un de ses amis de France, n’aurait pu s’exprimer plus clairement, même quand il aurait eu plus à dire, et il y a dans ses dernières phrases un je ne sais quoi d’enveloppé et de manqué à la fois qui ne laisse pas d’être significatif. « Dans tout ce que je viens de dire de Saint-Évremond, je suis heureux de me trouver d’accord avec M. 

514. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Un voyageur qui visita la Trappe du temps de l’abbé de Rancé raconte qu’étant au réfectoire pendant qu’on lisait quelque chapitre du Lévitique, il entendit un endroit qui l’effraya : Exterminaituur de populo anima ejus qui non fecerit Deo sacrificium in tempore suo, « et je compris mieux que jamais, dit-il, quel malheur c’est que de manquer le temps du sacrifice. » — Celui à qui est dû le Génie du Christianisme ne manqua point ce moment ; il sut mettre, à l’heure marquée, son talent en offrande sur l’autel : l’éclair brilla, mais alors même tout se répandit en lumière et en encens.  […] Je me plais à le dire ici comme je ne manquerai pas de le répéter ailleurs, si le coup de la Grâce pure, de ce qu’on appelle de ce nom, est quelque part évident, c’est dans la pénitence présente ; sur ce front de Rancé la foudre d’en haut a parlé seule et par ses propres marques. […] » Ce saint qui ne retourne jamais la tête, qui la cache sous le froc et sous la cendre, qui s’abîme, qui s’humilie et s’accuse, mais à qui il n’échappe jamais une confidence ni un aveu, il le contemple, il l’admire par moments, il ne peut se décider à l’aimer : « Tel fut Rancé, dit-il en finissant ; cette vie ne satisfait pas : il y manque le printemps… » Et encore, parlant de la Correspondance de Rancé et de ses Lettres de piété, dont la monotonie est frappante, il a écrit ces pages qu’on nous pardonnera de tirer du milieu du livre, pour les offrir ici, à demi profanes, dans leur vérité durable et dans tout leur charme attristé ; on n’ira pas bien avant sans avoir retrouvé la touche immortelle, incomparable :  « Rancé a écrit prodigieusement de lettres. […] Les serments vont toujours leur train ; ce sont toujours les mêmes mots, mais ils sont morts ; l’âme y manque : je vous aime n’est plus là qu’une expression d’habitude, un protocole obligé, le j’ai l’honneur d’être de toute lettre d’amour.

515. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Pour revenir à Perse, le critique, après l’avoir accusé d’avoir trop tôt produit, et avoir pris de là occasion de s’emporter contre les gens sans génie qui écrivent trop jeunes ; après l’avoir de plus accusé (par une singulière contradiction) d’avoir peu produit et de manquer de qualité abondante et fécondante, déclare qu’il ne se serait jamais élevé bien haut, et qu’il était né sans génie. […] Dans le milieu de son style, il y a de ces phrases, de ces paragraphes entiers qui me font l’effet des compagnies du centre au complet, défilant dans une revue, bonnes troupes, si l’on veut, mais peu distinctes, un peu lourdes, et qui passent assez longtemps devant vous sans qu’il y manque et sans qu’on y remarque un seul homme. […] Même quand il loue en lieu excellent et de bon cœur, il ne sait pas toujours les mesures : en dissertant tout au long de la santé chétive, des afflictions corporelles ou de la pauvreté des auteurs qu’il admire, il a, en trois ou quatre rencontres, manqué notablement de tact, ce qui est une manière encore de n’avoir pas assez de goût. […] Nisard une incohérence par trop glorieuse, qui tendait à cumuler, en quelque sorte, les avantages des admirations les plus disparates et les plus affichées, une manière peu discrète de louer qui manquait de convenance envers tous ceux qu’elle associait si bruyamment, mais qui, dans le cas cité, en manquait surtout envers le plus pointilleux et le seul exclusif des trois.

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